Véritable record de longévité, le feuilleton Virginie prendra fin dans moins de deux semaines et il en est en partie responsable. Pourtant, Louis Cornellier, professeur de littérature, compte parmi les fans de la première heure de ce téléroman qui a pris l'antenne en septembre 1996. Personnages marquants, références culturelles et l'impression d'entrer dans le quotidien des artisans de l'école Sainte-Jeanne-d'Arc sont autant de raisons qui ont rivé cet adepte de Virginie - envers et contre tous -  à son petit écran pendant près de 15 ans.

Lors d'une rencontre avec les journalistes, sur le plateau de tournage de son téléroman, l'auteure et productrice Fabienne Larouche, qui avait l'émotion à fleur de peau, a laissé entendre que Louis Cornellier l'avait grandement influencée dans sa décision de sonner la fin des classes à l'école secondaire Sainte-Jeanne-d'Arc.

Au cours des dernières années, Louis Cornellier a rédigé quelques lettres d'opinion dans Le Devoir, où il défendait bec et ongles les vertus de ce soap à la sauce québécoise. Mais voilà que le printemps dernier, l'homme est entré en contact avec la mère de Virginie. Il souhaitait lui dire qu'il était peut-être temps d'écrire le dernier chapitre du quotidien de Lacaille, Hercule, Virginie et tous les autres personnages qui ont déambulé dans les couloirs de l'école la plus célèbre du Québec.

«Je lui ai dit que j'avais beaucoup aimé ça, mais que là je pensais que sa veine était épuisée, a relaté Louis Cornellier, en entrevue à La Presse. Et puis quelques mois plus tard, elle m'a dit que tout ça avait eu une influence importante.» C'est d'ailleurs au cours de l'été que Fabienne Larouche a annoncé que l'année scolaire se terminerait pour de bon le 16 décembre.

À moins de deux semaines de la conclusion de cette saga télévisuelle, Louis Cornellier se sent-il un peu coupable d'avoir incité l'auteure à prendre cette déchirante décision? «Oui, je me sentais un peu responsable, admet-il, mais je pense que c'est néanmoins la meilleure décision.»

Plus de 600 000 adeptes

Malgré tout, le feuilleton a survécu à l'épreuve du temps. Au cours des dernières années, une moyenne de 600 000 à 650 000 téléspectateurs étaient affectés chaque soir par la fièvre de la «virginimania». «Quand on a commencé Virginie, on ne savait pas que ça allait être ça», souligne Louise Lantagne, directrice générale de la télévision de Radio-Canada, rencontrée il y a quelques semaines lors des derniers jours de tournage de l'émission. «La beauté de Virginie, c'est que ça se soit rendu au bout de son histoire.»

Rappelons que l'oeuvre de Fabienne Larouche comptera en tout 1740 épisodes, un record de longévité pour une auteure qui aura écrit en solo chaque ligne de cette histoire ayant pris naissance avec le retour au Québec de Virginie Boivin (Chantal Fontaine) qui, après avoir été GO dans un club Med décide de suivre les traces de sa mère Cécile (Monique Chabot) dans l'enseignement. Le secret de son succès? Selon Louis Cornellier, les raisons sont nombreuses.

D'abord: l'école Sainte-Jeanne-d'Arc. «C'est le choix de Fabienne Larouche de mettre une école secondaire publique de Montréal, en milieu défavorisé, au coeur de son téléroman, explique-t-il. Il y a très peu d'oeuvres qui mettent l'école au centre de leurs propos.»

Le syndicaliste, l'intello et le catho

Puis, à l'instar des Séraphin Poudrier (Les Belles Histoires des pays d'en haut) et Jean-Paul Belleau (Des dames de coeur), plusieurs personnages ont su donner une couleur à Virginie et marqueront à jamais la mémoire télévisuelle, estime M. Cornellier. Pierre Lacaille (Jici Lauzon) - un «anarcho-syndicaliste-révolutionnaire à bibliothèque» -, Jacques Phaneuf (Luc Guérin) - un «romancier-artiste qui écrit à Réjean Ducharme» - et Julien Constantin (Jacques L'Heureux) - un «catholique tourmenté» - font partie de ces personnages-types qui auraient contribué au succès de l'émission.

«Virginie est l'un des rares téléromans qui a su imposer des personnages d'intellectuels positifs, estime M. Cornellier. Des personnages qui lisent des livres, qui vivent de culture et qui ne sont pas des fatigants, des prétentieux.»

Et ces intellos sympathiques ont, à travers leur discours, fait allusion à plusieurs références culturelles. Lacaille, qui citait Karl Marx. Jacques Phaneuf, qui écrivait à Réjean Ducharme. Et même le gros Patrick (Antoine Bertrand), qui, aux yeux de Louis Cornellier, était un clin d'oeil à Des souris et des hommes.

Temps morts

Le professeur de littérature, comme plusieurs fans avoués de Virginie, s'est souvent fait regarder de haut par ses pairs qui méprisaient en quelque sorte son intérêt pour ce téléroman dit populaire.

«C'était perçu assez souvent avec un sourire amusé, admet-il. Les élèves, ça les faisait rire un peu.»

«Mais il y a quand même quelques personnes qui m'ont dit, avant que je fasse un texte sur Virginie dans Le Devoir, que je ne devrais pas écrire ça, que j'allais perdre ma réputation.»

Malgré tout, Louis Cornellier confie que l'émission a tout de même eu des hauts et des bas. «Dans Virginie, il y a eu des temps morts. On ne peut pas apprécier un téléroman en écoutant une heure de temps en temps. Ça serait comme écouter cinq minutes, au milieu d'un film de deux heures.»

Et, en janvier, accordera-t-il autant d'attention à 30 vies, qui mettra en vedette Marina Orsini? «Je vais lui donner une chance. Est-ce que je vais la suivre aussi assidûment que Virginie? Je ne peux pas le dire... Je vais juger.»