Vingt-huit ans après avoir fait ses débuts d'animatrice à Télé-Québec, Claire Lamarche rentre au bercail à l'automne à la barre de Huis clos, une nouvelle émission de débats. En attendant, l'animatrice qui a pris un congé forcé d'un an des ondes, fait du cardio plein air et du taï chi, s'occupe de son auberge et de ses petits-enfants et goûte aux dernières semaines de sa vie sans la télévision.

Claire Lamarche vient d'entrer dans le café de Longueuil où elle m'a donné rendez-vous. Elle porte un blouson de sport rouge sur un ensemble noir d'entraînement. Elle n'est pas coiffée, pas maquillée, et encore moins liftée ou botoxée. D'une femme qui gagne sa vie à la télévision et qui a passé depuis le longtemps le cap de la cinquantaine, c'est rare. Rarissime même.

Reste qu'en apercevant le photographe de La Presse, Claire Lamarche fige. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il y ait un photographe. Personne ne l'a prévenue. Elle-même avait oublié de s'en informer.

Habituellement, les personnalités féminines confrontées à un photographe imprévu se rangent dans deux camps. Ou bien elles renvoient poliment le photographe en lui donnant rendez-vous un autre jour quand elles seront «présentables». Ou bien elles se ruent sur leur trousse de maquillage en réprimant leur mauvaise humeur. Claire Lamarche ne fait ni l'un ni l'autre. Au lieu de pester, elle s'excuse, puis entraîne dehors, sans cérémonie, le photographe Ivanoh Demers.

Cette petite scène, qui a duré quelques minutes à peine, résume bien Claire Lamarche: une femme plus centrée sur les autres que sur elle-même, qui se fout de son image et pour qui le contenu a toujours été plus important que le contenant.

À 64 ans, Claire Lamarche charrie encore, en un sens, les idéaux de sa jeunesse. Née au tout début du baby-boom en 1945, Claire Lamarche a vécu presque toutes les étapes cruciales qui ont défini sa génération. Cela commence avec une éducation ultracatholique assortie de l'obligation d'aller à la messe tous les dimanches, mais aussi tous les jours pendant le carême. Elle me raconte que les évanouissements qui allaient l'accompagner toute sa vie, y compris en plein débat des chefs en 1997, remontent à son enfance, quand son père, fervent catholique, l'obligeait à aller à la messe le ventre vide.

Mais pour elle comme pour ses congénères, le joug de l'Église catholique n'a pas résisté longtemps à l'effervescence sociale du Québec des années 60. Après avoir vécu son enfance et son adolescence à Québec, Lamarche a quitté la Vieille Capitale pour aller faire un bac en sociologie à Montréal.

Elle croyait à ce moment-là que sa vie serait dans l'enseignement. Elle a d'ailleurs commencé par enseigner dans un externat classique de jeunes filles sur la Côte-de-Beaupré. Puis, les deux années suivantes, elle a enseigné le français, l'histoire de l'art et de la civilisation grecque au cégep François-Xavier-Garneau de Québec.

Mais très vite, l'appel des médias électroniques l'a détournée de l'enseignement.

Animatrice, du jour au lendemain

Entre 1970, année où elle met au monde son unique fille, Stéphanie Couillard, et 1982, année où elle devient l'animatrice de Droit de parole, Claire Lamarche a été tour à tour recherchiste à la radio de Radio-Canada, puis agent de programmation à Télé-Québec - qui à l'époque portait encore le nom de Radio-Québec.

Qu'on lui confie du jour au lendemain l'animation d'une importante émission d'affaires publiques, lancée par le duo Matthias Rioux et Jean Cournoyer, demeure un des grands mystères de sa carrière. Elle n'avait aucune expérience et aucune formation. Pourtant, Claude Désorcy, le directeur de la programmation, a insisté. En réalité, il venait d'apprendre que son hésitation à renouveler le contrat de Rioux et Cournoyer avait poussé le duo à Télé-Métropole. Ayant perdu ses deux vedettes, Désorcy a fait le pari un peu fou de miser sur une parfaite inconnue, mais dotée d'une personnalité forte, opiniâtre et rassembleuse.

«J'ai pris une semaine pour y réfléchir, raconte Claire Lamarche. Et plus j'y réfléchissais, plus je me disais que cela n'avait aucun sens. Qui étais-je, moi, pour relever un tel défi? Au bout de la semaine, ma décision était prise. C'était non. Puis j'ai croisé Nicole Leblanc, l'adjointe à la direction de la programmation, qui m'a rappelé mes discours enflammés sur le peu de place qu'on faisait aux femmes dans la société. Ça m'a ébranlée et j'ai fini par dire oui, même si j'étais convaincue que j'allais me casser la gueule.»

Tous les vendredis soir pendant huit ans, Claire Lamarche a donné la parole à un vaste éventail de Québécois de tous les horizons, de toutes les strates sociales et de toutes les revendications. Elle a appris sur le tas, non seulement à animer, mais à le faire en direct, sans possibilité de revenir en arrière et de recommencer.

Dans ses souvenirs, une seule émission a failli virer à la catastrophe.

«C'était une émission sur la jalousie et l'infidélité. La direction nous avait demandé de préenregistrer. C'était la première fois que ça arrivait et ça ne faisait pas mon affaire. Rien ne marchait comme d'habitude. Les participants étaient bizarres, y compris Dany Laferrière qui m'a demandé de raconter devant tout le monde le projet de commune que j'avais déjà eu avec mon mari. Un malaise s'est installé. La chaise d'un des participants s'est cassée. Paul Buissonneau est arrivé en retard. Il y a eu une foire d'empoigne et j'ai perdu complètement le contrôle de l'émission. Mais quand les portes se sont ouvertes pour laisser passer l'équipe de Surprise sur prise, je n'étais pas soulagée, j'étais en colère. Je me souviens d'avoir frappé mon poing sur la table et d'avoir éclaté en sanglots. J'étais dans tous mes états. C'était assez terrible.»

Sa plus grande fierté

Autre moment éprouvant de sa carrière, son évanouissement en direct devant les caméras pendant le débat des chefs de 1997. Le moment a depuis été immortalisé sur YouTube.

«Ça été très dur à vivre. Ça m'a laissé un arrière-goût amer, d'autant plus que je n'étais pas vieille à l'époque. Les chutes de pression et les évanouissements, j'en faisais depuis l'âge de 5 ans. Tous les gens du milieu le savaient. Cela ne m'a pas empêchée de pratiquer mon métier et aujourd'hui, grâce à mon stimulateur cardiaque, c'est réglé.»

Bien qu'elle ait fait ses débuts à Télé-Québec, qu'elle a épousé en premières noces, c'est son mariage avec TVA qui a fait de Claire Lamarche une vedette et une figure incontournable de la télé québécoise. Elle affirme que Les Retrouvailles, une émission qui a permis à des centaines d'enfants adoptés de retrouver leurs parents biologiques et vice versa, demeure sa plus grande fierté. Elle parle avec affection du TVA libre, informel et familial qu'elle a connu au tournant des années 90. «C'était de belles années. Il y avait à TVA un champ de liberté extraordinaire, dit-elle. Et puis les choses ont changé, la télévision a changé. Un étage de hiérarchie et de cadres a poussé. La liberté n'était plus la même. Je ne suis pas amère. Je comprends qu'ils veulent faire une télé où je n'ai plus ma place, où ils ne me voient pas et où je ne me vois pas non plus. Y retravailler? Non, je ne crois pas.»

Au cours de la dernière année, une des rares années où Claire Lamarche n'a pas fait de télé, l'animatrice a beaucoup réfléchi. Elle a voyagé, fait de la peinture et assisté religieusement à ses séances de cardio plein air dans le parc près de chez elle.

«J'ai aussi fait la paix avec le fait de vieillir. Un visage change en vieillissant. La télé est cruelle à cet égard, mais en fin de compte, la télé, c'est nous autres. C'est la société qui est cruelle. Je sais bien qu'on vit aujourd'hui à l'ère de la poupoune et de la jeunesse, mais j'endosse toutes les batailles pour faire en sorte qu'il y ait de la place dans la société pour des gens de tous les âges. Je vois bien que j'ai la petite paupière qui tombe, mais le jour où on me demandera de me faire retoucher le visage, je quitterai la télévision. C'est un compromis que je refuse, notamment parce que je crois que le charme et la séduction, ça tient à la vitalité, à l'énergie et à la passion. Pas à la perfection.»

Claire Lamarche a peut-être la paupière qui tombe, mais pour ce qui est de l'énergie et de la passion, elle est plus jeune que jamais et fin prête à retrouver sa vieille complice, la télévision.