Si Hollywood produit des films de guerre de plus en plus réalistes, c'est en partie grâce au travail du capitaine Dale Dye, consultant qui se spécialise dans l'art de «briser» les acteurs pour en faire des marines. Cet ancien militaire est derrière une quarantaine de longs métrages, y compris la série télé la plus coûteuse de l'histoire américaine, The Pacific, qui sera présentée en avril à Super Écran.

Il fut un temps où le capitaine Dale Dye était incapable de regarder un film de guerre sans pouffer de rire ou laisser choir sa tête entre ses genoux.Vétéran du Vietnam, M. Dye voyait des erreurs partout.

«Les marines saluaient n'importe comment. Ou ils n'avaient pas les bonnes réactions lors des combats. J'ai vécu ce qu'ils essaient de reproduire à l'écran. Ils étaient à côté de la plaque.»

C'était au début des années 80, et le capitaine Dye, marine décoré de plusieurs médailles du courage, cherchait une nouvelle carrière. Un soir, après avoir bu quelques bières, il s'est donné pour mission de montrer à Hollywood comment filmer la guerre.

M. Dye, homme athlétique au regard intense, est arrivé à Los Angeles. Son plan: proposer ses services en se rendant sans rendez-vous sur les lieux de tournage, où il abordait le premier homme en complet-cravate qu'il croisait.

«J'ai vite fait connaissance avec les gardiens de sécurité, se souvient-il. Ils me jetaient dehors, mais ils étaient corrects. Eux aussi, ils revenaient du Vietnam.»

En lisant les publications spécialisées, Dye a appris qu'un obscur réalisateur cherchait à tourner un film sur la guerre du Vietnam. Le réalisateur s'appelait Oliver Stone.

«J'ai trouvé son numéro à la maison. Je l'ai appelé un dimanche matin et je lui ai dit: «Je ne vous connais pas, vous ne me connaissez pas, mais vous avez besoin de moi pour votre film.» Il m'a donné rendez-vous.»

«Je lui ai proposé une idée simple: prendre ses acteurs élevés dans la ouate et leur faire vivre la faim, la fatigue, le froid, la peur. Les choses que tous les marines vivent.»

Stone a aimé l'approche. Quelques semaines plus tard, le capitaine Dye s'envolait avec Tom Berenger, Willem Dafoe, Charlie Sheen, Forest Whitaker, Johnny Depp et d'autres acteurs pour un camp d'entraînement de deux semaines aux Philippines.

Dans le camp du capitaine Dye, les recrues sont responsables de monter leur tente à partir d'une toile et d'un bout de ficelle. D'allumer un feu sous la pluie. De trouver une façon de s'orienter dans la nuit.

«J'aime les réveiller à l'aube. Ils font entre huit et dix kilomètres de jogging, en formation. Les acteurs sont des gens individualistes, ils pensent à leur apparence, à leur carrière. Je veux leur montrer que les marines pensent au groupe avant de penser à eux-mêmes.»

Le projet a été un succès. Et le film est devenu un classique: paru en 1986, Platoon a récolté quatre Oscars, dont celui du meilleur film, et Stone, celui du meilleur réalisateur. Sur scène, Stone a personnellement remercié Dye. La carrière des deux hommes était lancée.

Une quarantaine de films

Depuis, Dye a collaboré à une quarantaine de films, dont Born on the Fourth of July, JFK, Saving Private Ryan et The Thin Red Line.

Pour The Pacific, nouvelle série produite par Steven Spielberg et Tom Hanks, Dale Dye a organisé un camp de 10 jours dans le sud de l'Australie, avant le début du tournage.

Joe Mazzello, 26 ans, qui incarne le marine Eugene Sledge dans The Pacific, dit que la formation avec le capitaine Dye a été «les 10 pires journées consécutives de (sa) vie».

«Nous avions deux toilettes portatives pour quatre-vingts personnes. Il n'y avait pas d'eau, nos tentes n'étaient pas imperméables. Un soir, le capitaine nous a donné des sachets de soupe au poulet. Nous avions cinq minutes pour souper. J'ai croqué les pâtes en un bloc, et j'ai avalé la poudre. C'était une leçon: à la guerre, vous n'avez pas le temps de manger.»

Grand et mince, M. Mazzello dit avoir perdu 12 livres en 10 jours. D'autres ont souffert davantage.

«Un gars s'est cassé la clavicule. Deux ont eu des côtes brisées. Un autre a eu le pied écrasé par de la machinerie. C'était brutal. Pour garder espoir, je me répétais que chaque minute qui passait était une minute qui me rapprochait de la fin du camp.»

L'expérience a été bénéfique pour le tournage, dit-il. «Ça vous met dans un état d'esprit très particulier. Vous avez faim. Vous avez mal dormi. Vous êtes sale. Il y a des explosions autour de vous. Tout ça est vrai. Ce n'est pas un truc.»

Pour le capitaine Dye, le plus gratifiant est de passer du temps, seul à seul, avec un acteur qui vient de réussir une épreuve exigeante.

«Il y a deux sortes de larmes, dit-il. Il y a les larmes de pleurnicherie, de plainte, que je ne supporte pas. Et il y a les larmes de joie, des gens qui viennent de surmonter une situation difficile. Ce sont des larmes que j'accepte volontiers. Ces gens-là pleurent parce qu'ils viennent d'apprendre quelque chose sur eux, sur la vie.»