S'il était conscient de son succès, Toupie s'écrierait sans doute «C'est comme un rêve!» avec la voix délirante de Marc Labrèche, qui lui donne vie en français.

La même voix d'ailleurs qu'entendent les petits Français qui écoutent Toupie et Binou en version originale québécoise sur la chaîne satellite Tiji. Les mitaines ne sont pas des moufles. Et il est question de bancs de neige et pas de congères...

La souris exaltée et son petit compagnon silencieux sont présents dans 176 pays, ce qui les place dans la même ligue que les Caillou et Arthur quant à la diffusion internationale. Al Jazira les diffuse en arabe. On peut le voir au Mozambique, au Qatar, en Norvège, au Brésil...

Souriante, enthousiaste, d'une bonne humeur contagieuse, l'auteure et illustratrice Dominique Jolin ressemble étrangement à Toupie. Elle le dit elle-même: «Toupie, c'est complètement moi!». En beaucoup plus bête, évidemment!

La première fois qu'elle a entendu des comédiens parler dans le langage enflammé de sa souris, elle s'est sentie à la fois fière et intimidée. Comme si on entrait dans son intimité en disant trop fort ses propres mots.

«Toupie, ce n'est pas un enfant. Il est extrêment naïf. Il a un sur moi très développé. Binou est beaucoup plus intelligent.» Très poli, la souris vouvoie tout le monde, vit des aventures folles issues de son imagination débridée, donne du Monsieur et du Madame à tout le monde y compris aux objets. Si bien que quand l'équipe de Spectra animation a créé en anglais le personnage de Patchy-Patch, le toutou vert de Binou, Mme Jolin l'a aussitôt baptisé... Monsieur Mou. Elle s'étonne encore que le nom ait été accepté!

Elle n'a pas voulu faire de la télé éducative: «les enfants, est-ce qu'on peut les laisser tranquilles un peu», les faire rire de bon coeur? Mais le message qu'elle souhaite qu'ils retiennent, c'est qu'on peut toujours trouver plusieurs solutions aux problèmes, qu'il ne faut pas se laisser abattre. «Je veux leur donner envie de devenir des adultes.»

Dans les traces de Caillou?

Contrairement au bambin chauve propulsé par Cinar - et dont l'histoire est teintée du scandale des prête-noms et d'un litige autour des droits du personnage, - Toupie et Binou n'ont pas percé d'abord aux États-Unis, ce qui rend leur succès encore plus étonnant. La série a d'abord été commandée en anglais par la chaîne pour enfants canadienne Treehouse. Par la suite, Télé-Québec a suivi. Puis, depuis deux ou trois ans, l'émission a commencé à être doublée et diffusée à l'étranger. «Notre humour est exportable!» en conclut Dominique Jolin.

Dans les années 90, l'auteure et illustratrice a créé la petite souris pour illustrer des livres pour bébé. Comme la collection publiée par Héritage (Dominique et compagnie) a connu un bon succès, elle a présenté son projet de dessin animé à Spectra animation. «Pendant trois ans, j'ai essayé. On me disait qu'il n'y avait pas de marché», raconte-t-elle. Et puis, la dernière fois, Spectra a accepté, à condition que ce soit à très petit budget.

La solution: utiliser Photoshop et le logiciel d'effets spéciaux et de composition animée After Effects, ce qui a permis de produire à peu de frais des images couleur de qualité et de les animer comme du papier découpé. Ainsi, plutôt que d'être animée en Asie ou ailleurs, la première série a été réalisée dans les studios de Spectra animation pour 5,2 millions. La seconde pour 3,2 millions. Puis, le site web et ses jeux ont suivi.

«On a eu un merveilleux réalisateur, Raymond Lebrun, qui a insisté sur la qualité», souligne Dominique Jolin. Elle a travaillé avec lui aux textes. «C'était beaucoup beaucoup de travail. On reprenait tout.»

Par contre, pour les autres versions, les auteur et producteur n'ont pas participé aux adaptations. Les acheteurs sont responsables de la traduction des textes.

Pas encore de profits...

Curieusement, pour l'instant, ni Spectra animation ni Dominique Jolin ne font encore des profits avec Toupie. «On a fait un gros investissement dans la production au point de départ. On a récupéré nos investissements», explique André A. Bélanger, président de Spectra animation. Certains fonds qui ont participé au financement doivent d'abord être remboursés, ajoute-t-il. On a commencé à le faire. Ce n'est qu'après qu'on pourra commencer à rétribuer les auteurs. De plus, traditionnellement, les émissions pour le préscolaire ne se vendent pas très chères parce qu'elle rapporte moins de revenus publicitaires aux diffuseurs.

Depuis les premiers albums, Toupie a bien changé. Celui que les enfants connaissent est un peu différent, toujours vêtu d'un chandail rayé. Mais l'auteure et illustratrice n'a pas envie de reprendre l'ancienne formule. Elle travaille sur d'autres projets d'animation avec Raymond Lebrun, pour les 6-9 ans cette fois.

Et pour la suite?

Pour l'instant, les diffuseurs n'ont pas commandé d'autres épisodes. «Nous, on en veut d'autres! On travaille énormément pour développer une 3e série», affirme le producteur André A. Bélanger. Et on essaie toujours de percer le marché américain, malgré une situation économique plutôt défavorable.

Un succès en DVD et en librairie

La série de dessins animés Toupie et Binou compte 104 épisodes de 5 minutes, 78 épisodes de 2 minutes et 6 émissions spéciales d'une demi-heure. 400 000 DVD ont été vendus, selon Spectra Animation. Environ 240 000 exemplaires des différents livres ont été vendus depuis 1998, douze livres sont inspirés des émissions de télévision, selon les Éditions Héritage. Des livres d'activités et d'autocollants ont été mis en marché récemment.Pourquoi si peu de produits dérivés?

Dans un marché saturé de Dora et de Flash McQueen, pas facile de trouver des accessoires à l'effigie de Toupie et Binou. Certes, des casse-tête, jeu de mémoire, napperons et quelques vêtements ont été créés et distribués dans quelques grandes surfaces. Et de nouvelles peluches doivent sortir bientôt. Mais ils ne sont pas largement distribués. Le problème? Pour les manufacturiers de jouets, le territoire canadien ne serait pas assez vaste pour être rentable. La situation pourrait changer si l'émission était diffusée aux États-Unis.

Nécessaire, la coproduction?

Parmi toutes les productions faites au Québec, il est plutôt rare que des séries de dessins animés connaissent une carrière internationale sans passer par la co production avec l'étranger. De plus, les cas comme Toupie et Binou ou Gofrette, où un auteur tire un dessin animé de son livre, ne sont pas la norme. Les productions sont souvent faites d'un savant mélange de financement, de collaborateurs divers et de crédits d'impôts. De plus, depuis le début des années 2000, après le scandale entourant Cinar et son achat par le torontois Cookie Jar, l'importance de l'industrie de l'animation a beaucoup diminué au Québec. «Avant, on arrivait à avoir de très bonnes licences de certains diffuseurs», souligne André A. Bélanger, de Spectra animation. Maintenant, c'est beaucoup plus difficile, en raison du contexte économique et des difficultés à aller chercher du financement. «Les modèles économiques changent énormément. On est en train de changer notre approche du marché.»

Blaise le blasé et les autres

* Blaise le blasé raconte l'histoire d'un jeune Montréalais qui jette un regard ironique et irrévérencieux sur le monde.

Destinée aux 10 à 14 ans et basée sur un concept de Benoit Godbout et Malorie Nault-Cousineau, l'émission est une coproduction France (35 %) - Québec 65 %).

La série coproduite par Spectra animation est diffusée en anglais et en «québécois» sur Teletoon, et en «français

de France» sur France 2.

* Actuellement en développement : 12 longs métrages tirés des romans à succès Amos Daragon de Bryan Perro, toujours chez Spectra animation. Ainsi que Vie de quartier, une comédie inspirée des personnages de Lévesque et Turcotte et adaptée par les frères Christian et Yvon Tremblay (pour les 13 ans et plus). Et Dynamo D, un concept pour les 6 à 9 ans de Doris Brasset et Fabienne Michot, qui serait coproduit avec Toonz Animation (Inde) pour TéléQuébec et CBC.