Trois petits tours et puis s'en vont... Alors que le théâtre de marionnettes connaît un essor fulgurant au Québec depuis quelques années, la marionnette semble avoir tiré sa révérence du petit écran. L'animation 3D, en partie responsable de sa disparition, pourrait toutefois lui donner un deuxième souffle.

Dépassée, la marionnette? Difficile à croire lorsque l'on constate le nombre de compagnies spécialisées dans cet art. Le Théâtre de l'Avant-pays, le Théâtre de l'Illusion, le Théâtre de la Dame de Coeur, le Théâtre Sans Fil, les Sages Fous, les Marionnettes du Bout du monde... L'énumération le démontre de façon éloquente. La popularité du Festival international des arts de la marionnette de ManiganSes - qui fête cette année son 10e anniversaire - aussi.

 

Cet enthousiasme ne se reflète toutefois plus sur nos écrans cathodiques. Alors que la génération Y a grandi avec Bibi, Cannelle et Pruneau, Félix et Ciboulette, Pacha et les chats ou Ouimzie, les cases horaires destinées aux tout-petits ont expulsé les émissions de marionnettes.

Certes, il y a encore les capsules de Zénon le petit cochon les matins à Radio-Canada, ou Zoboomafoo, mais on est loin de ce qu'on nous proposait sur les ondes autrefois.

Les plus âgés se souviendront d'émissions comme Pépinot et Capucine (1952 à 1954), Bobino (1957 à 1985), La Cabane à Midas (1968), Nic et Pic (1972 à 1977), Le Monde de Monsieur Tranquille (1977), La Minute et quart à Gérard D. Laflaque (1982) ou d'À plein temps (1984-1988).

La faute aux diffuseurs?

«Ceux qui décident sont des adultes et c'est comme s'ils voyaient la marionnette comme du brassage de catins», dénonce Carmen Bourassa, productrice et idéatrice de Passe-Partout. «Il y a maintenant une véritable réticence du côté des diffuseurs, alors qu'il n'y en a pas de la part des enfants par rapport à la marionnette.»

«La disparition de la marionnette a commencé au début des années 2000», ajoute le marionnettiste et responsable du théâtre de l'Avant-Pays Michel P. Ranger. «Mais le problème s'est accentué depuis que les principaux diffuseurs se sont détachés de la production jeunesse et que le créneau a été laissé aux chaînes spécialisées, qui préfèrent acheter des productions étrangères ou se tourner vers l'animation 3D.»

La directrice des programmes jeunesse et famille à Télé-Québec, Lucie Léger, admet que la marionnette a presque disparu du petit écran. Selon elle, les maisons de production proposent de moins en moins de synopsis incluant des marionnettes.

«Les jeunes ont accès à des jeux vidéo et au 3D, qui est très réaliste. Ça devient beaucoup plus exigeant pour nous côté facture parce qu'ils ont une capacité de lecture de l'image extrêmement rapide.»

À son avis, les émissions impliquant des marionnettistes ne sont toutefois pas reléguées aux oubliettes.

«Nous assistons à une sorte de renaissance en ce moment avec l'utilisation de marionnettes dans un contexte où l'on intègre de l'animation 3D... Grâce à cela, je pense que les marionnettistes vont retrouver leur place sur le marché dans un cadre de production où les marionnettes vont faire des choses qu'elles n'ont jamais faites.»

À titre d'exemple, la programmatrice cite Et Dieu créa Laflaque ou Wilbur, qui entremêlent les deux genres à leur façon.

Perte culturelle

Mais pour plusieurs, la disparition de la marionnette traditionnelle est une perte culturelle considérable. C'est le cas de Michel Ledoux, alias Bibi de Bibi et Geneviève, aujourd'hui devenu régisseur de plateau.

«Tout le monde s'est recyclé, raconte-t-il. C'est dommage parce que, lorsque je sortais Bibi, les enfants y croyaient comme au père Noël. C'était un personnage crédible. Le virtuel, on ne peut pas y toucher, le sentir.»

«C'est un art millénaire et c'est sûr qu'il continue de vivre, mais il faut le faire vivre à la télé parce que c'est une infime proportion des enfants qui vont au théâtre», souligne Carmen Bourassa. «La télé, c'est le médium culturel le plus répandu. Veut-on vraiment que notre système de valeurs nous vienne des Japonais ou des Américains via les productions animées achetées? Il va falloir choisir.»