Malaise et indignation. La publication d'une lettre d'appui à Radio-Canada, touchée par de nombreuses compressions budgétaires, a causé une véritable onde de choc dans le milieu de la radio et de la télévision.

Alors que certains diffuseurs privés qui sont en compétition directe avec la SRC estiment que le manifeste écrit par le Syndicat de Radio-Canada est un «plaidoyer comportant une charge méprisante et injustifiée» à propos de leur travail, quelques signataires de la lettre, dont la plupart sont des personnalités publiques, cachent difficilement leur malaise. Quelques-uns tentent même de prendre leurs distances par rapport à certains passages du texte.

Ainsi, la lettre parue le 26 juin dans les pages du journal Le Devoir avait pour but de dénoncer les compressions à Radio-Canada tout en rappelant le rôle unique que joue le diffuseur public dans le domaine de l'information et de la culture. Or, certains passages du texte, signé par des dizaines de personnalités publiques dont France Castel, Pierre Lapointe, Louise Harel, Richard Séguin et plusieurs autres, ont fait sursauter les représentants du réseau TVA et ceux de Corus Québec, propriétaire de plusieurs stations de radio dont le 98,5 FM et CKOI.

«Sans Radio-Canada, quel réseau de nouvelles réserverait l'espace de réflexion coûteux nécessaire à une information autre que spectaculaire, people, tape-à-l'oeil, sensationnaliste, où la une est réservée aux vedettes ou au chien écrasé du voisin?» peut-on lire.

«Radio-Canada est à la fois un réseau d'information et un véritable incubateur culturel grâce auquel les créateurs peuvent oser des émissions dont le concept même rebuterait des diffuseurs privés allergiques au risque et à l'innovation», ajoute-t-on plus loin.

Piqués au vif par des propos qu'ils jugent «inacceptables», le vice-président de Corus Québec, Mario-Cecchini, ainsi que plusieurs dirigeants de TVA ont vivement répliqué par le biais de deux lettres publiées samedi dernier dans les pages du même quotidien.

«Défendre avec vigueur un point de vue est une chose. Mais quand l'argumentation dénigre et s'attaque au travail réalisé par les réseaux privés, c'est autre chose», affirme M. Cecchini.

«Prétendre que l'information de qualité est l'affaire d'un seul réseau public est totalement faux et méprisant, poursuit-il. Dans le cadre des bulletins de nouvelles préparés par les journalistes d'INFO690 ou au 98,5 FM, avec Paul Arcand, Isabelle Maréchal, Benoît Dutrizac et Paul Houde, aucun sujet n'est négligé ou ignoré.»

Du côté de TVA, le texte signé notamment par le président et chef de la direction, Pierre Dion, par la vice-présidente de la programmation, France Lauzière, ainsi que par quelques journalistes, abonde dans le même sens. «Cette analyse manichéenne soulève deux questions. D'abord, en quoi le fait d'attaquer les diffuseurs privés ajoute-t-il à un argumentaire qui vise à réaffirmer la nécessité d'un diffuseur public fort? De plus, pourquoi continuer à alimenter de tels préjugés à l'égard des «privés» ?» demande-t-on.

Interrogé par La Presse hier, Pierre Bruneau, chef d'antenne au bulletin de nouvelles de 18h à TVA, en a remis. «Je suis là depuis 33 ans. Je ne pense pas qu'on fasse de la mauvaise information, au contraire. Qu'on défende le dossier de Radio-Canada, c'est une chose. Mais de là à frapper sur l'autre pour essayer de se valoriser, c'est vraiment maladroit, dit-il. Je trouve ça cheap, je trouve ça mesquin, je trouve ça vraiment irrespectueux.»

Malaise chez les signataires

Ainsi, devant le tollé soulevé par le manifeste du Syndicat des communications de Radio-Canada, plusieurs signataires tentent maintenant de se dissocier des passages du texte qui concernent les diffuseurs privés. Certains admettent du même souffle avoir mal lu la lettre au bas de laquelle ils ont accepté d'apposer leur nom.

«Je ne l'ai pas bien lue, se désole la comédienne Marie-Hélène Thibault, connue notamment pour son rôle dans Les chroniques d'une mère indigne. Et c'est dommage, parce que le débat est détourné.»

«J'admets que c'était une maladresse (de la part de ceux qui ont écrit la lettre), ajoute pour sa part Yves Lambert, l'une des figures de la musique folklorique au Québec. J'en conviens. J'ai acquiescé à cette lettre de façon émotive.»

S'il estime avoir fait preuve d'un certain «laisser-aller» dans son analyse, Yves Lambert tient toutefois à souligner que certains profitent de ce genre de débat pour raviver «une vieille compétition» entre les secteurs public et privé.

Pour sa part, le chanteur Michel Rivard, qui a d'abord signé la lettre du syndicat, a visiblement fait volte-face puisque son nom s'est retrouvé ensuite au bas du texte de TVA. Il a été impossible d'obtenir ses commentaires à ce sujet.

«Un feuilleton personnel»

De son côté, le président du Syndicat des communications de Radio-Canada, Alex Levasseur, a tenu à remettre les pendules à l'heure. Il affirme que le texte avait pour but de démontrer que la SRC faisait un travail différent des autres, mais que, en aucun cas, on n'avait pour objectif de dénigrer les réseaux privés.

«C'est clairement un faux débat, estime-t-il. Nous n'avons nullement l'intention de nous comparer à qui que ce soit. Il faut interpréter le texte dans son ensemble. Je pense qu'il y a quelques individus qui ont bien voulu y voir un feuilleton personnel.»