Une émission de téléréalité mettant en scène trois familles espagnoles plongées dans la vie de clans «primitifs» fait grincer des dents en Espagne à cause du traitement réservé à ces tribus.

Tribus déplacées pour les besoins de l'émission, mises en scènes, enfants privés d'école: ONG et experts ont dévoilé une partie de l'envers du décor de Perdidos en la tribu (Perdus dans la tribu), émission diffusée le dimanche soir par la chaîne privée Cuatro.

L'émission, déjà adaptée dans d'autres pays, présente trois tribus aux «rites ancestraux», deux en Namibie et une en Indonésie, accueillant pendant 21 jours des familles espagnoles de classe moyenne. Choc des cultures garanti.

Dès la première émission, le décor est planté, avec des chefs de clans autoritaires, femmes, hommes et enfants à moitié nus.

Le téléspectateur découvre les réactions des Occidentaux face aux habitudes de leurs hôtes: parties de chasse, sacrifices de chèvres ou de poules.

Dans le désert du Kalahari, en Namibie, les Molina-Herrera et leurs quatre enfants débarquent dans un camp de Bushmen, formé d'une dizaine de huttes en demi-cercle.

En réalité, selon l'ONG Fundacion Cear, qui travaille depuis trois ans sur le terrain avec les Bushmen, ces familles n'habitent pas ce camp et «ont été déplacées à plus de 700 km de leur lieu de vie habituel» pour les besoins de l'émission.

«Les enfants n'ont pas pu aller à l'école pendant un mois» et la tribu «a été éloignée de ses terres en pleine période de cultures», explique à l'AFP Arantxa Freire, responsable des campagnes de sensibilisation pour cette ONG.

Elle souligne que les Bushmen sont moins primitifs qu'on veut bien les montrer à l'écran: ils n'habitent pas des huttes en torchis mais des maisons en dur, et s'habillent non de pagnes mais de shorts, tee-shirts et robes.

Selon Mme Freire, les Bushmen ont été «maigrement payés» pour participer à l'émission et ont utilisé cet argent pour «acheter de l'alcool, jusque là interdit dans la tribu», ce qui a provoqué des bagarres «contre lesquelles l'ONG essaie de lutter au quotidien».

Elle dénonce un traitement «exotique, paternaliste, irrespectueux et stéréotypé» de ce peuple, «l'un des premiers ayant habité la Terre».

Un responsable de la chaîne Cuatro interrogé par l'AFP reconnaît que les producteurs ont insisté «sur les aspects les plus rudimentaires et pittoresques» de ces clans.

Mais l'émission, qui frappe fort à l'audimat, ne cherche qu'à «montrer le contraste entre la culture occidentale et ces tribus», insiste-t-il.

La deuxième famille découvre la vie d'une autre tribu de Namibie: les Himba. Pour la mère et ses deux filles adolescentes, la première consigne est claire: ici les femmes n'ont pas le droit de se laver et elles devront s'y plier.

«Il est totalement faux que les femmes de cette tribu ne se lavent pas», assure à l'AFP Francisco Giner Abati, professeur d'anthrolopologie à l'Université de Salamanque, qui a vécu près de trois ans chez les Himba.

«Elles se lavent moins que chez nous car l'eau est difficile d'accès, mais dès qu'elles vont chercher de l'eau, elles en profitent pour se laver», souligne-t-il.

«L'image donnée est très éloignée de la réalité» et c'est «dommage d'exploiter commercialement ces tribus», déplore ce professeur qui n'a «tenu que cinq minutes» devant sa télé lors de la diffusion de la première émission.

Troisième famille, troisième décor: l'Indonésie. Les Recuero-Oliva sont accueillis en pleine jungle par des Mentawai, censés découvrir l'homme blanc, mais qui commencent à être rodés: il y a quelques mois, ils avaient déjà reçu les Smith, pour l'émission néo-zélandaise Ticket to the Tribes.