Dans la bande-annonce de la troisième et dernière saison des Invincibles, Lyne-la-pas-fine annonce d'un ton menaçant que le règne des sous-hommes achève. Catherine Trudeau, que ce rôle improbable de femme castratrice a révélée, s'en amuse bien: «J'aime ça des gars, moi; je les trouve moins compliqués.»

Catherine Trudeau est en mode questions-réponses depuis près de deux heures quand je la rejoins à une table de la salle Jean-Despréz de Radio-Canada où elle casse enfin la croûte. Les journalistes qui viennent de voir les deux premiers épisodes de la dernière saison des Invincibles, diffusée sur Radio-Canada à compter du 14 janvier à 21h, se sont arraché l'héroïne castratrice par excellence.

 

«J'ai rencontré beaucoup de femmes aujourd'hui, mais il n'y en a pas une qui m'a dit qu'elle avait un petit côté de Lyne, me lance-t-elle, étonnée. Pourtant, je leur ouvre la porte, je leur dis: moi, j'en ai un! De même que chez beaucoup d'hommes, il y a un petit côté tapis, nous, les femmes, on cherche à régler des problèmes entre nous, on aime ça sauver les gars... et les gars aiment ça se faire sauver.»

Dès la première saison des Invincibles, Lyne-la-pas-fine a pris sa place dans notre folklore télévisuel. Pourtant, quand Catherine Trudeau a passé son audition, tout le monde n'était pas convaincu qu'elle pouvait défendre ce rôle. «C'est un ange, elle a la bouche en coeur, un petit visage rond, elle n'a vraiment rien de dangereux, à 3h du matin dans une ruelle, t'as pas peur d'elle», résume Pierre-François Legendre, alias l'Invincible Carlos Fréchette que Lyne domine, mais qu'elle aime vraiment. «Et sa voix, poursuit Fréchette, quand tu l'entends dire tout ce qu'elle dit dans cette série-là, c'est encore plus surprenant. Quand elle se lève le matin et dit des choses comme»Ramasse ton poil de cul dans le bain, j'ai pas envie de me baigner là-dedans!» on y croit. Catherine a rendu ça totalement vrai.»

«Je pense que (le réalisateur et coauteur de la série) Jean-François (Rivard) s'imaginait une Lyne physiquement beaucoup plus proche de la bande dessinée, une grande femme mince plantureuse à la chevelure noire, dit Catherine Trudeau. Moi, je ne dégageais pas ça du tout, je ne suis pas très grande et j'avais les cheveux blonds courts il y a quatre ans. François Létourneau (comédien et coauteur) me connaît depuis le Conservatoire, mais je n'avais jamais joué cette couleur-là à l'école de théâtre. Je ne crois pas qu'il ait pensé à moi quand il a écrit Lyne, mais il savait que je pouvais la jouer.»

«Pendant l'audition, je pense que j'étais plus nerveux qu'elle tellement je voulais qu'elle soit bonne, se souvient Létourneau. Tout de suite, Jean-François a été convaincu.» Tant et si bien que quand dans la deuxième saison, après sa rupture avec Carlos, Lyne a été moins présente, les auteurs se le sont fait reprocher. Le monde voulait revoir Lyne-la-pas-fine. «Mais je ne regrette pas cette décision-là, dit Létourneau. Les Invincibles, c'est l'histoire de quatre gars, mais le personnage de Carlos et sa relation avec Lyne, ça se situe un peu au-dessus, c'est la relation la plus importante de la télésérie.»

«Moi, je ne tenais pas à être plus présente que ça dans les deux premières saisons, renchérit Catherine Trudeau. Lyne, c'est un personnage qui est bon à petites doses, elle a une mission dans chacune de ses scènes et c'est bien que ça ne déborde pas. Quand tu vois Lyne, tu te dis que les problèmes arrivent, qu'est-ce qu'elle va encore sortir? Dans la deuxième année, elle a pris une autre dimension et cette année, elle est plus présente, on va la voir plus humaine, plus vulnérable. Mais elle est entourée, elle est avec ses chums de filles. La troisième saison va dans tous les sens, elle est très insaisissable. Et c'est un feu roulant: à partir de l'épisode 5 ou 6, ça n'arrête pas!»

La magie du couple

Lyne et Carlos vivent désormais en couple depuis deux ans. Leur relation, si tordue soit-elle, perce littéralement l'écran depuis le tout début de la série. Pierre-François Legendre l'a senti dès la première audition, Catherine Trudeau aussi, qui n'a jamais demandé aux auteurs si cela avait fait pencher la balance en sa faveur.

«Parfois, en audition, ce n'est pas toujours clair, on prend des décisions puis on hésite, mais il n'y a eu aucune hésitation quand on les a vus ensemble, se souvient François Létourneau. C'était entendu qu'on allait donner le rôle à Pierre-François mais tout de suite on a vu que ça marchait avec Catherine. Il y avait quelque chose de très payant dans les textes, mais aussi dans la relation entre les deux acteurs, le courant passait.»

«C'est un peu de la magie, commente Legendre. Dans la troisième saison, quand un personnage tourne sa dernière scène, on l'annonce sur le plateau. Quand l'équipe a appris que c'était la dernière scène entre nous deux, il y a eu beaucoup d'émotion. Tout le monde s'est dit «OK, c'est fini», même s'il restait peut-être 10 ou 15 jours de tournage. Ça montre à quel point cette complicité était forte.»

Un rôle de son âge

Au théâtre et au cinéma, Catherine Trudeau a presque toujours joué des rôles de jeune fille. «Des rôles magnifiques, mais Lyne, c'est la première femme de mon âge que je joue à la télé, dit-elle. J'aurai bientôt 34 ans, je ne peux plus jouer les filles de 16 ans, j'ai beau avoir l'air jeune et avoir une petite voix... Je viens d'avoir un petit bébé, je me dis que la prochaine étape, ça pourrait être de jouer une mère de famille.

«Je suis vraiment une actrice choyée, et Lyne, c'est le summum, c'est un rêve, c'est du bonbon tous les jours, jouer ce rôle-là, ajoute-t-elle. Et avec Pierre-François en plus. À la fin du tournage, je lui ai dit que c'était moi qui avais le meilleur Invincible (rires).»

Catherine Trudeau s'étonne que des journalistes l'abordent encore comme une nouvelle venue, elle qui est sortie du Conservatoire il y a bientôt 10 ans et qui n'a jamais manqué de travail depuis.

«J'ai été découverte plusieurs fois, dit-elle. Dans Tabou, même si ça faisait déjà trois ou quatre ans que je travaillais, que je faisais des rôles pour les ados, que je jouais au théâtre. Après ça, il y a eu Le Survenant, on redécouvrait Catherine Trudeau. Et avec Les Invincibles, une autre gang m'a découverte, des gens qui ne vont peut-être pas au théâtre ou qui n'ont peut-être pas vu Tabou, ou encore des plus jeunes qui me connaissaient peut-être pour La loi du cochon qui touche un peu le même public, je pense...»

Elle ne le cache pas, elle s'ennuie du cinéma où elle a multiplié les rôles en début de carrière. «Mais je suis une maman depuis quelques mois seulement, c'est mon plus beau rôle jusqu'à maintenant, j'en profite au maximum, ajoute-t-elle. Et je suis porte-parole du Prix des libraires, pour la troisième fois. J'ai beaucoup de bonheur à faire ça. J'ai étudié en littérature avant d'aller à l'école de théâtre, donc les livres et l'écriture, ça fait partie de moi. J'ai eu des offres, mais j'y vais beaucoup avec mon coeur et mon feeling, c'est ce que j'ai toujours fait, mais c'est encore plus vrai aujourd'hui. Moi, travailler tous les soirs de la semaine et la fin de semaine, tourner de jour, jouer au théâtre le soir et faire du doublage le lendemain matin, je n'y tiens pas.»

Elle ne saurait dire si Lyne-la-pas-fine - «le rôle que j'ai tenu le plus longtemps» - va lui ouvrir ou lui fermer des portes. «Je pense que c'est le temps qui va me le dire, répond-elle. Bien sûr, il y a une espèce de spectre depuis la première saison, à cause de l'ampleur du rôle. Les offres que j'ai reçues m'ont fait du bien parce qu'elles m'ont rassurée, les gens ne m'ont pas oubliée, je peux encore jouer les jeunes femmes douces, gentilles et timides comme avant. Je fais confiance à ce que j'ai joué avant Lyne aussi, j'ai un parcours assez vaste.»