Anne Dorval me donne rendez-vous au Club Chasse et pêche dans le Vieux-Montréal. La comédienne est de la distribution des Parent, la meilleure nouvelle émission de l'automne (Radio-Canada, lundi, 19 h 30).

Certains disent de l'irrésistible Cricket du Coeur a ses raisons qu'elle est hystérique. «Mon personnage de mi-névrosée, dit-elle, c'est moi, mais à la puissance 10!» Discussion très posée avec une actrice qu'on aime.Marc Cassivi: Il y a des gens qui n'ont pas compris que tu jouais un rôle lors de ton passage avec Alex Kovalev à Tout le monde en parle...

Anne Dorval: Il me semble que c'est évident que c'était un petit numéro comique! Pour moi, c'est comme un verre de champagne dans une semaine. C'est tout. Ç'a été décidé à la dernière minute. Je ne suis pas une vraie groupie.

M.C.: C'est vrai que tu en as mis pas mal...

A.D.: Peut-être que j'en mets beaucoup dans la vie aussi, de sorte que je ne vois pas le décalage entre ça et quand je m'amuse avec mes enfants ou mes amis. Les gens qui ne me connaissent pas du tout ne comprennent peut-être pas que je n'étais pas droguée et que c'était juste une blague. C'était pour éviter qu'Alex Kovalev ne soit mal à l'aise. Il ne m'a jamais rencontrée. Il ne sait pas qui je suis. Je ne vais quand même pas verser une larme! Il y a six mois, je ne savais pas qui c'était. Mais j'ai découvert un danseur sur la glace, un magicien de la rondelle. C'était juste drôle de le rencontrer. Mais je n'étais pas droguée!

M.C.: Je m'intéresse à la distinction entre le personnage public et le personnage privé...

A.D.: Je n'ai pas besoin de raconter tous les détails de ma vie pour qu'on sache qui je suis. On n'a qu'à regarder ce que je fais. J'ai l'impression d'être un livre ouvert. Mais si je racontais tout mon parcours, les gens seraient peut-être étonnés. Ça n'a pas toujours été facile. Il y a eu des passages douloureux. Ce n'est d'aucun intérêt que les gens sachent ça. Je ne vois pas pourquoi je raconterais ma vie à La semaine ou au 7 jours. Je ne trouve pas ça intéressant. Même si je sais que ça m'apporterait probablement un grand capital de sympathie. Mais je comprends les gens qui le font et je ne méprise pas du tout ces revues-là. C'est seulement que je ne me sens pas à l'aise de me confier.

M.C.: Est-ce un mécanisme de défense de jouer un rôle - je repense à Tout le monde en parle - plutôt que de parler de toi?

A.D.: Probablement que c'est un mécanisme de défense. On a tous nos façons particulières de se protéger. Moi, c'est ça. Ça plaît ou ça ne plaît pas. Mais je ne vais pas arrêter de le faire parce ça déplaît. Je ne suis pas capable de faire autrement. J'aurais tellement aimé être comme tout le monde, et ne pas être obligée de faire ce métier-là. Faire autre chose, avoir une vie anonyme, pour qu'on ne soit pas toujours obligé de me critiquer sur la place publique. Ne pas faire un métier public. Pour protéger les enfants...

M.C.: C'est difficile de faire un métier public?

A.D.: Si ce n'était que de moi, je serais capable de le faire plus facilement, en me mettant des oeillères. C'est sûr que la critique m'atteint comme elle atteint tout le monde. J'aurais aimé être moins sensible. Ç'aurait fait mon affaire. Je ne passerais pas pour une folle. Je ne sais pas si mes enfants en souffrent, parce qu'ils ne lisent pas tout. Mais ma fille m'a dit après l'épisode de Tout le monde en parle que des gens me trouvaient bizarre...

M.C.: Tu n'as pas envie que ton métier ait des répercussions sur tes enfants.

A.D.: Je n'en ai pas envie, mais ça arrive inévitablement. Je fais un métier public. Je dis parfois des choses en entrevue que je ne devrais peut-être pas dire.

M.C.: Tu te méfies des médias?

A.D.: Je me méfie de moi, pas des médias. Je sais à quel point je peux être mal à l'aise quand il y a une caméra et plein de gens autour. Et à quel point c'est différent quand c'est des rencontres comme celle-ci. C'est une conversation. Je ne peux pas toujours avoir un filtre. C'est peut-être pour ça que quand les gens me voient à Tout le monde en parle, ils trouvent que je fais des niaiseries. J'en mets plus que le client en demande. C'est peut-être une déformation que d'y ajouter toujours une part d'humour. Pour désamorcer ma timidité.

M.C.: Tu dis que tu passes parfois pour une folle. Tu es consciente que certains te perçoivent de cette façon-là?

A.D.: Oui.

M.C.: Parce qu'on est dans une société conventionnelle qui accepte mal la différence?

A.D.: Je ne sais pas pourquoi. C'est quelque chose qui m'échappe encore. On ne dit pas ça de Marc Labrèche...

M.C.: C'est vrai. Alors qu'on le pourrait bien (rires)!

A.D.: Je l'aime, Marc. J'ai travaillé avec lui. Les gens le décodent quand il fait des niaiseries et qu'il se permet de dire des énormités. Je ne pourrais pas me permettre de dire le quart des choses qu'il dit. Ça ne passerait pas.

M.C.: Ça tient selon toi à la distinction entre hommes et femmes dans la perception des gens?

A.D.: C'est très mystérieux. Je ne comprends pas tout de ça. Mais je crois que c'est plus difficile pour une fille de faire de l'humour ou de sortir de cette image propre, douce, belle, qui sent bon et qui n'est pas trop menaçante. Il ne faut pas qu'elle soit trop belle d'ailleurs, parce que ça fatigue le monde aussi. Il faut être sympathique, drôle, mais juste assez pour que les gens comprennent. On le voit avec Cathy Gauthier et les critiques qu'elle a eues en Abitibi pour son émission. Et c'est de la fiction.

M.C.: C'est parce que c'est une femme d'après toi?

A.D.: Je pense que oui.

M.C.: On revient peut-être au cliché de quand un homme se fâche, c'est parce qu'il a de l'aplomb, alors que quand c'est une femme, c'est parce qu'elle est hystérique...

A.D.: On y revient tout le temps. Moi, l'hystérie, on me l'a fait porter 10 fois plutôt qu'une. Alors que pour moi, l'hystérie, ce n'est tellement pas ça. L'hystérie, c'est une perte de contrôle démesurée. De la folie, ce n'est pas ça non plus. J'en vois des gens fous dans la rue qui se parlent tous seuls. Ils sont coupés du monde. C'est ça, la folie. C'est très loin de moi.

M.C.: Ça te dérange qu'on dise ça de toi?

A.D.: Ça me dérange. Ça me fait de la peine que les gens pensent ça de moi. Mais en même temps, je ne changerai pas. Je le voudrais bien. Je l'ai voulu depuis que je suis toute petite. Je n'ai pas fait exprès d'être ce que je suis. Ça ferait mon affaire d'être autre chose. Mais je fais avec ce que je suis. J'essaie d'utiliser tous mes travers et il me semble que ça m'a plutôt bien servie.