Quand il est arrivé au Québec et qu'il n'était encore qu'un enfant, Ronald Boisrond, d'origine haïtienne, a presque été accueilli en héros à Montréal-Nord. On le trouvait mignon, on lui donnait des bonbons au dépanneur.

Presque 40 ans plus tard, le portrait a changé. Dans ce quartier récemment frappé par une émeute, les jeunes Noirs inspirent la méfiance, la peur et la crainte. C'est le monde à l'envers, comme si on avait régressé. 

«Que s'est-il passé?», s'est demandé Boisrond, aujourd'hui réalisateur. Son documentaire, La couleur du temps, que présentera Canal D le dimanche 12 octobre à 21h, explore le visage d'une communauté lourdement marquée par la criminalité, mais surtout par le regard hostile des «pure laine», qui les associent automatiquement au crime.

Certaines statistiques sont troublantes: 40% des détenus du pénitencier de Bordeaux à Montréal sont Noirs. Et le taux de chômage est beaucoup plus élevé chez la population d'origine haïtienne. On apprend aussi que 6% des jeunes Noirs sont abandonnés par leur famille, alors que ce pourcentage tombe à 0 pour les Blancs. Alors qu'ils accédaient à des postes d'importance il y a 30 ans, ils rêvent plus modestement de nos jours. Quel gâchis.

L'image du jeune Noir forcément criminel est tellement ancrée dans les consciences, que leurs méfaits, même les plus banals, sont plus souvent signalés à la DPJ que ceux des Québécois de race blanche. Il suffit qu'un groupe de Noirs joue au hockey dans la cour pour qu'on appelle la police, «au cas où, on ne sait jamais.» Même la tenue vestimentaire et le contenu des boîtes à lunch, différent de celles des «pure laine» en raison des traditions alimentaires, sont source de dénonciation.

«On a tendance à intervenir beaucoup plus tôt, plus vite et de manière plus musclée envers les Noirs», croit le chercheur Emerson Douyon.

Pour donner plus d'humanité à son oeuvre, le réalisateur aurait pu s'intéresser plus longuement au cas du rappeur Kasheem, qu'il visite au pénitencier à sécurité maximum de Donnacona, d'où il sort après six ans de détention. Un test d'urine présentant des traces de cannabis suffira à le renvoyer en-dedans.

Plusieurs pensent que les Noirs courbent trop facilement l'échine, comme Paul Evra, un commissaire scolaire de 21 ans. «On n'est pas encore assez en guerre. Les gens se permettent à la télévision de dire des choses sur les Noirs, les Haïtiens, les Africains, peu importe, puis personne ne réagit.»

Hélas, le film de Ronald Boisrond pose les questions sans apporter de réponses. On s'enlise dans des théories didactiques, on s'éloigne du sujet, alors qu'on aurait pu créer un véritable rapport entre les émeutes de Montréal-Nord et la situation des Noirs. Il y avait pourtant là un sujet profondément préoccupant, et qui mérite qu'on s'y intéresse.