« Un grand cinéaste signe le plus célèbre des opéras. » Avec un tel slogan, l’Opéra de Montréal met la barre bien haut pour sa production de Carmen, le chef-d’œuvre de Bizet qui fait partie du top 5 des opéras les plus joués dans le monde, avec La flûte enchantée de Mozart et La Traviata de Verdi.

Or, pour ses débuts dans le monde de l’art lyrique, Charles Binamé signe un spectacle honnête et respectueux de l’ouvrage – sans plus. On ne distingue rien de nouveau ni de révolutionnaire dans sa lecture du récit inspiré d’une nouvelle de Mérimée. Dans l’ensemble, sa direction est soignée, ses tableaux sont spectaculaires, mais paradoxalement, rien n’étonne ou n’émeut dans son ouvrage.

Durant près de trois heures, son Carmen est un festival des beaux costumes (Dominique Guindon) et des éclairages soignés (Alain Lortie, un maître de la lumière), dans un décor imposant, mais quelque peu encombrant (Olivier Landreville). Cette production en met plein la vue et les oreilles, sous la baguette d’Alain Trudel qui dirige habilement les musiciens de l’Orchestre Métropolitain.

L’amour à mort

Carmen, c’est bien sûr des airs connus et livrés par près d’une centaine d’interprètes, en incluant les chœurs impeccables (dont celui des Petits Chanteurs du Mont-Royal). Toutefois, si Binamé gère bien la circulation sur la scène, sa vision artistique reste en panne de coups d’éclat. Le cinéaste a fait ses devoirs pour illustrer l’Andalousie de 1875, avec son machisme, son catholicisme, ses codes et ses règles sociales que Carmen, femme éprise d’amour et de liberté, ne cesse de transgresser.

Mais cette œuvre universelle mérite plus qu’une bonne description des mœurs de l’époque.

À l’instar de son héroïne, il faut s’attaquer à Carmen en bousculant les attentes et les conventions. Ici, la mise en scène donne parfois des couleurs de Disney aux remparts de Séville. Comme au début de l’acte 4, alors que les toréadors défilent avec leurs habits colorés à l’entrée de l’arène, sous le regard émerveillé des femmes du monde, avec leurs ombrelles, leurs beaux chapeaux et leurs robes de mousseline. On est davantage dans une comédie musicale, du genre Hello, Dolly !, qu’à la fin de la tragédie de Carmen.

Problème de « casting »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le décor imposant de l’opéra Carmen est signé par Olivier Landreville.

L’autre problème de cette production, c’est la distribution. Saluons la volonté de l’Opéra de Montréal d’encourager nos talents nationaux, en proposant une affiche entièrement canadienne. Toutefois, pour des rôles aussi emblématiques que ceux de Carmen et de Don José, il faut plus que du talent, ce que possède évidemment Krista de Silva, qui incarne le rôle-titre. Si la soprano de Calgary a une belle voix (malgré quelques problèmes de projection, surtout avec les dialogues), son jeu est limité. La chanteuse est mal à l’aise dans ses mouvements (soulignons qu’elle s’est blessée durant les répétitions). Sa Carmen n’a pas le côté sauvage ni farouche de la bohémienne.

En Don José, le brigadier amoureux fou de Carmen, le ténor Antoine Bélanger est aussi décevant. Son personnage manipulé et trompé devrait être le plus tragique de tous.

En tuant Carmen à la fin, Don José fait aussi le sacrifice de sa vie : Carmen meurt pour rester libre ; Don José tue pour ne pas souffrir. Hélas, on ne sent rien de tout cela dans le jeu du chanteur. Même face à son rival Escamillo (bien défendu par l’excellent baryton Christopher Dunham), sa jalousie semble feinte, artificielle.

D’ailleurs, les interprètes des seconds rôles volent la vedette. Mentionnons l’émouvante prestation de France Bellemare en Micaëla (son solo a été le plus applaudi du public, le soir de la première). Et aussi les deux bohémiennes interprétées avec justesse par Magali Simard-Galdès et Pascale Spinney ; ainsi que le solide baryton Dominique Côté et l’excellent ténor Éric Thériault. Ces derniers brillent dans des rôles comiques et secondaires. Un brio et une aisance qu’on aurait souhaité voir davantage dans cette production bien ficelée, mais sans génie.