Pour ses 20 ans d’existence, Créations Estelle Clareton revient avec une deuxième création jeune public, Paysages de papier. À l’élastique de Tendre succède un immense morceau de papier, clef de voûte d’une ouverture vers l’imaginaire… et, chemin faisant, vers l’autre.

Estelle Clareton ne chôme pas. La chorégraphe, qui a fondé sa compagnie en 1999, a depuis peu accepté le poste de directrice de création pour L’École nationale de cirque de Montréal, un univers qu’elle côtoie depuis 13 ans. Elle présentera en première, dimanche, au Théâtre Outremont, sa nouvelle création jeune public Paysages de papier. Tout ça, en travaillant activement à une relecture d’une des pièces importantes de son répertoire, S’envoler, créée il y a 10 ans, et en planchant sur un nouveau solo, qui sera présenté en 2020.

Après l’immense succès remporté par Tendre, sa première pièce destinée à un jeune public, qui a été présentée plus de 150 fois depuis sa création en 2015, Estelle Clareton avait envie de continuer à développer ce créneau. « Ça connecte bien ! Des fois, je me dis que j’ai trouvé mon public, et qu’il a 4 ans ! », lance-t-elle en riant, tout en ajoutant qu’elle ne compte pas délaisser la création pour adultes pour autant.

Avec un regard un peu moins naïf que la première fois, la chorégraphe s’est donc lancée dans l’aventure. « C’était un peu stressant, car je ne voulais pas me répéter. Créer pour les enfants, ça me met aussi dans un état d’exigence par rapport à mon travail, car les enfants ne font pas d’efforts ; si ce n’est pas intéressant ou juste, c’est un décrochage immédiat ! »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Dès le premier jour en studio, la chorégraphe est arrivée avec un rouleau de papier kraft sous le bras.

Papier vivant

Le papier s’est imposé comme matière porteuse, alors que dès le premier jour en studio, la créatrice est arrivée avec un rouleau de papier kraft sous le bras. « Je pensais m’en servir pour prendre des notes, mais rapidement je me suis mise à jouer avec ! » À l’aide de la dramaturge Karine Galarneau et des trois interprètes (Nicolas Labelle, Olivier Rousseau et Jessica Serli), elle a fait un énorme travail de recherche qui a duré un an et demi.

Dans Tendre, Clareton explorait sous toutes ses coutures l’élastique qui était relié au corps de deux interprètes ; dans Paysages de papier, c’est un grand morceau de papier brun malléable, mais tout de même solide, presque indéchirable, qui sert d’élément déclencheur à l’action.

L’élastique était vraiment une matière formelle pour aller vers quelque chose de plus émotif, et le papier remplit ce rôle aussi.

Estelle Clareton

Mais alors que l’élastique induisait une gestuelle portée vers le rebond et l’élasticité, le papier lui a permis de travailler dans un tout autre registre. « C’est toute la fragilité de cette texture qui s’est retrouvée dans leurs corps. On a travaillé sur froisser, plier, déchirer du papier… Comment on transpose ça dans le corps ? Qu’est-ce que ça veut dire de se plier, se déplier ? »

Transcender l’anxiété

« C’est un spectacle, au final, qui parle de peur, de fragilité, de vulnérabilité, de comment on fait pour reconnaître dans nos corps les angoisses, les petites blessures, les déchirures… », énumère celle qui désirait travailler dès le départ sur la thématique de l’anxiété, un sujet qui touche de plus en plus les enfants, tout en ne délaissant pas son côté ludique, une de ses signatures.

« Les enfants vivent de plus en plus d’anxiété, comme les adultes. J’avais envie de parler de ça, pas de façon didactique ou éducative, mais en partageant ce que j’ai appris dans mes recherches sur le sujet : la respiration, en parler, savoir s’appuyer sur les autres, reconnaître qui sont nos alliés… On réussit à en parler à travers le papier. »

PHOTO STÉPHANE NAJMAN, FOURNIE PAR CRÉATIONS ESTELLE CLARETON

Une énorme morceau de papier devient le quatrième personnage de Paysages de papier et sert à déployer l’imaginaire des protagonistes.

Car s’il y a une chose que la chorégraphe a apprise en créant Tendre, c’est « qu’on peut parler de tout aux enfants ». Il suffit de trouver comment. Les enfants eux-mêmes vont « transcender » les choses qui leur arrivent en les mettant en dessin, par exemple. Un outil qu’on perd souvent en vieillissant, déplore Mme Clareton. Car la création, au fond, c’est un peu ça : amener une expérience à l’extérieur de nous pour mieux la regarder.

Et quoi de mieux pour ce faire que de jouer avec un canevas vierge qui peut se transformer à l’infini, une feuille de papier qui devient costume, paysage, abri, animal… Un clin d’œil au fait qu’aujourd’hui, on ne laisse pas les enfants s’ennuyer, ultra-sollicités qu’ils sont, comme les adultes, d’ailleurs. Alors que de l’ennui, des « moments d’errance, d’états de disponibilité » surgissent souvent les meilleurs élans créatifs, souligne la chorégraphe.

Ça m’intéresse beaucoup, cette idée de faire tout avec rien.

Estelle Clareton

Et c’est d’ailleurs en déployant leur « folie imaginaire » que les trois personnages finiront par nouer des liens entre eux. « Le rapport du corps dans l’espace et le lien entre le corps et l’objet dans l’espace, les liens qui se tissent entre eux, ça me fascine. Et je crois que ça résume bien mon travail des vingt dernières années ! », conclut Estelle Clareton.

Paysages de papier : Au Théâtre Outremont, du 20 au 23 octobre, et à la Maison de la culture Claude-Léveillée, le 26 novembre

Tendre : À la Maison des arts Desjardins de Drummondville, le 27 octobre, et à la Cinquième salle de la Place des Arts, le 3 novembre

S’envoler : Dans plusieurs maisons de la culture de Montréal, en avril et mai prochains.

Consultez le site des Créations Estelle Clareton : https://creationsestelleclareton.com/