Dana Michel a été mise au monde par le Festival TransAmériques (FTA), avec Yellow Towel en 2013, qui lui a valu d’être classée parmi les chorégraphes féminines de l’année par le New York Times. Présentée au FTA en 2016, Mercurial George a remporté le Lion d’argent à la Biennale de Venise l’année suivante. Avec CUTLASS SPRING, la chorégraphe et performeuse montréalaise poursuit son exploration de l’identité, en posant cette fois sa lorgnette sur la sexualité.

CUTLASS SPRING a été présentée en première mondiale il y a quelques jours, au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles. Le festival a produit une courte vidéo où vous disiez ne pas encore savoir exactement de quoi la pièce aurait l’air, comme la première n’avait pas encore eu lieu. Est-ce toujours comme ça : tant que la pièce n’a pas eu lieu, rien n’est vraiment fixé ? Et même après ?

Oui ! [rires] La première était la semaine dernière, et j’ai l’impression que ça fait déjà deux ans, que c’était une étape de travail… C’est peut-être parce que j’ai l’habitude de faire les premières à Montréal, donc j’ai l’impression que c’est encore une fois la première… Peut-être avec un peu moins de pression. Je sais que certaines choses sont en place, mais je suis encore en réflexion. C’est la façon dont je travaille ; ce n’est que le début, et il faut que ça mûrisse.

Les pièces Yellow Towel et Mercurial George tournent encore. Est-ce que ce sont des pièces qui ont beaucoup évolué depuis leur première au FTA ?

Oui, toujours. C’est sûr que ce ne sont pas des pièces complètement nouvelles, mais c’est plus peaufiné, il y a une certaine maturité. Mercurial George est rendue à l’adolescence, et Yellow Towel approche l’âge adulte… peut-être ! Quand je regarde la première de Yellow Towel, le summum à mes yeux reste la fin de la pièce… mais le reste, je me dis : « Oh my god ! C’est pas possible ! » [rires] Dans Mercurial George, il y a plein de petits éléments que je voulais intégrer sans trouver comment ; je les ai introduits par la suite. C’est un truc vivant, ça ne reste vraiment pas figé…

Dans vos deux premières pièces, la question de l’identité raciale, de l’héritage culturel caribéen, était au premier plan. Pour CUTLASS SPRING, c’est plutôt la sexualité qui vous a intéressée. Pourquoi ?

Quand j’ai commencé à m’intéresser à la négritude, j’ai réalisé que la retenue, la pudeur que j’avais par rapport à ma race se retrouvaient aussi dans ma sexualité. Et puis, la sexualité m’a toujours beaucoup intéressée ; dans ma liste de choses que je pourrais ou voudrais faire dans ma vie, il y a sexologue. Or, j’ai réalisé que travailler en performance me permet de toucher à tout ce que je voudrais faire, mais à ma façon. C’est assez libre et ça me va très bien de devenir sexologue à ma manière très… particulière !

Sur scène, vous utilisez toujours une multitude d’objets qui sont manipulés, transformés, traçant une véritable course à obstacles… C’est encore présent dans ce travail ?

Ce qui m’intéresse, c’est très plastique, en fait. En création, j’ai tôt fait de penser à des thèmes de couleurs, à la lumière, à ramasser des objets. Il y a toujours un rapport avec mon histoire personnelle dans les objets que je vais choisir. Il y a cette idée de créer de la fiction avec de la matière très concrète. Et mener des défis, c’est ma manière de comprendre le monde et de rester engagée. Pour moi, les objets ont ce pouvoir d’ouvrir de gigantesques portails, où je m’amuse à plonger.

Il y a ce paradoxe que vous évoquez entre le fait que vous êtes très pudique dans la vie, mais que sur scène, vous perdez vos inhibitions. Cela a teinté votre approche de la pièce ?

Depuis quelques années, je cherche activement à me libérer. C’était présent dans mes dernières pièces, Yellow Towel surtout, et ce l’est encore une fois dans CUTLASS SPRING. C’est le ménage du printemps… On fait de la place pour voir ce qui reste, ce qui est important, la direction dans laquelle on veut aller.

Vos pièces sont parfois déstabilisantes à recevoir. Est-ce que vous pensez à la façon dont le spectateur reçoit vos pièces lorsque vous créez ?

Évidemment, je suis 100 % consciente que les gens vont voir ce que je crée, car c’est à ce moment-là que ça commence à vivre… Je crois que si je m’écoute vraiment, si j’écoute mon travail, je vais prendre le risque d’en perdre quelques-uns, peut-être pour toujours, peut-être pas. C’est la foi que j’ai !

Au Théâtre Prospero, du 31 mai au 3 juin.

Consultez le site du Festival TransAmériques.