Avec Kalakuta Republik, présenté au FTA jusqu’à samedi, le Burkinabè Serge Aimé Coulibaly convoque sur scène l’Afrique d’aujourd’hui, libérée des clichés. Une Afrique au seuil de la révolution qui n’en est pas pour autant divisée, ambivalente, chaotique, dont la marche chaloupée se fait au son de la musique de Fela Kuti.

La figure mythique de l’inventeur de l’afrobeat, pourfendeur des corrompus et héros national, qui n’est pas sans porter sa propre part d’ombre, est le fil musical conducteur de Kalakuta Republik. Sans être convoqué trop directement, il se devine dans la figure du prédicateur, incarné par Serge Aimé Coulibaly lui-même, qui cadence l’action sur scène.

Sur un plateau à la scénographie simplissime — un sofa, une boîte où se déhanchent tour à tour les interprètes, des chaises, deux toiles rapiécées où sont projetés quelques images et des slogans revendicateurs —, six danseurs évoluent (et non sept, puisqu’un des interprètes n’a pas réussi à obtenir son visa, de même que l’éclairagiste) et mettent en marche leur révolution, alors qu’apparaît sur l’écran « Part 1 – Without a story we would go mad ».

S’ancrant progressivement dans les corps qui battent la cadence de plus en plus amplement, la musique hypnotique et pulsée de Fela Kuti prend d’assaut la scène — et les spectateurs, facilement contaminés par le rythme entraînant.

Danse affranchie

Dans cette première partie plus chorégraphiée et ordonnée, Kalakuta Republik donne à voir la marche des corps vers une révolution (utopique ?), menés par la figure révolutionnaire incarnée par Coulibaly.

La gestuelle, peu à peu, se fait plus frénétique, saccadée, énergique, portant en elle une certaine violence. Puissance brute des corps qui tombent et se relèvent promptement, agités de soubresauts électriques, poussés par l’urgence. Le corps ainsi mâtiné par Coulibaly se dresse, libéré des codes.

Car le chorégraphe parvient à affirmer un langage qui, tout en prenant ses racines dans une certaine corporalité africaine — bassins mouvants et lascifs, corps ondulatoires, piétinements rythmés —, s’affranchit du folklore de la danse traditionnelle et évite de reproduire les codes de la danse contemporaine occidentale.

Ce faisant, il défriche de nouvelles terres, dessine un horizon où les corps peuvent s’émanciper et, qui sait, le peuple aussi, peut-être, suivra.

Mais l’ordre bascule, annoncé par les formes aux couleurs vives peintes sur les visages des danseurs, qui dégoulinent sur les peaux et tachent les vêtements, à mesure que l’effort déployé se fait plus intense, indicateur d’une urgence qui, bientôt, se teinte de désespoir.

Un état qui s’affirme dans la deuxième partie, plus performative, chaotique. « Part 2 – You always need a poet », apparaît sur l’écran alors que la république Kalakata prend des airs de boîte de nuit enfumée et que s’amoncellent au sol des chaises à moitié renversées, témoins d’une agitation passée ou à venir.

Le corps, animal, exacerbé, se déhanche avec une lascivité féroce, l’air s’embrouille des gouttelettes de bière crachée avec force ou de la poudre de talc disséminée, les poings tendus se portent à la bouche, les chaises sont empilées en équilibre précaire sur les épaules d’un danseur ; l’ordre se disloque, l’individualité prime.

« War is a purification rite », « United divided Africa », « All that glitters is not gold » : des slogans dystopiques apparaissent aux écrans alors qu’au micro, notre prédicateur, le visage désormais peint à moitié blanc, perce l’air de son rire machiavélique, mimant un discours. « Un jour, je serai président ! », répète-t-il.

Dérives du pouvoir, impossibilité de l’utopie : les corps s’enflamment, délestés de tout apparat. Par moments, Coulibaly verse dans la caricature, avec l’exagération des mouvements et des expressions faciales, ce qui ne sert pas toujours le propos, alors que l’interprétation se fait plus inégale. L’absence d’un danseur a-t-elle créé une faille dans la dynamique scénique ? Toujours est-il que certains passages tombent plutôt à plat.

Mais la finale, forte, poignante, rattrape le tout. Poings levés vers le ciel, la marche continue, imperturbable, quittant la scène pour rejoindre la salle, puis le monde extérieur.

★★★½ Kalakuta Repuplik. Serge Aimé Coulibaly. Au Monument-National jusqu’à samedi.