Basso Ostinato, de la chorégraphe italienne Caterina Sagna, c'est une histoire de déchéance, une démonstration mordante et efficace de ce qui se passe quand notre cerveau, poussé par l'angoisse ou le spleen, prend le dessus sur le moi. Il y a des instants magnifiques, d'autres hilarants, mais aussi des moments ennuyeux ou encore assez dégoûtants.

Sur une scène presque vide, deux hommes, Alessandro Bernardeschi et Mauro Paccagnella, machos à souhait, sont assis à une petite table, cigarette au bec et verre d'alcool à la main. On devine qu'ils sont déjà un tantinet saouls. Ils citent le premier vers de Chanson d'automne de Paul Verlaine et se trompent d'auteur, parlent de tout et de rien, de problèmes de calvitie et de plantes. Puis, l'un deux raconte qu'un jour, lors d'une répétition avec une étoile de la danse à La Scala, il a tout à coup eu très envie d'aller aux toilettes, que le chorégraphe a refusé et qu'il a fait dans son pantalon. Inspirés, ils rigolent en passant un commentaire de leur cru, un rien scatologique, sur la scène d'un ballet blanc qui passe, à ce moment-là, à la télé.

 

Puis tout s'arrête et ils reprennent la scène depuis le début, depuis «Les sanglots longs des violons de l'automne...», qui deviendra le motif déclencheur d'un éternel recommencement. Déjà, à la deuxième passe, les phrases se font plus rapides et moins précises. Entre alors en scène un troisième danseur, Antonio Montanile, l'élément perturbateur qui aura tôt fait de devenir bouc-émissaire. À la troisième passe, le discours se désagrège davantage et certains mots sont déjà remplacés par des gestes, qui deviendront par ailleurs de moins en moins précis, au fur et à mesure des reprises.

À chaque nouveau départ, Sagna, pernicieuse, gomme des bouts de texte et muselle un peu plus ses interprètes. La scène devient de plus en plus floue et se crible d'ellipses. Certains spectateurs se tordent de rire tandis qu'on sent nettement que d'autres reculent dans leur siège. À mesure que la parole se raréfie, les gestes se font de plus en plus violents et même bestiaux. À un certain moment, les sons qui sortent de la bouche des interprètes ne sont plus qu'éructations et vomissures (certains spectateurs se sont alors enfuis sans demander leur reste). Les corps finissent par céder: de la station debout, les interprètes chutent, pour n'en arriver qu'à ramper. Dans Basso Ostinato, l'homme n'évolue pas, il régresse, inexorablement et avec force méthode.

Et s'il arrive que la structure en boucle finisse par rendre le spectateur un peu blasé - il y a des sections où l'on s'ennuie -, Sagna s'arrange aussitôt pour bouleverser la donne en amenant d'amusantes variations sur le texte, en choquant carrément ou encore en ajoutant un étonnant contrepoint vestimentaire au propos. Ce qui est certain, c'est que la chorégraphe maîtrise parfaitement le rythme et le déroulement de l'action, jusqu'à la chute, d'une retenue parfaite.