Malgré les assouplissements de la Santé publique qui autorise dès lundi les rassemblements intérieurs de 50 personnes – et de 250 personnes à partir de la mi-juillet – les arts du cirque sont toujours paralysés. La raison : la distanciation physique sur scène reste impossible.

Si l’on commence à avoir une assez bonne idée de la manière d’accueillir le public dans les salles de spectacle, le casse-tête de la distanciation physique sur scène, lui, est loin d’être résolu.

Le Guide des normes sanitaires pour les arts de la scène a été rendu public plus tôt cette semaine. Organisation du travail, signalisation, gestion des coulisses, délimitation des zones de travail, tout a été détaillé. Du côté de la salle, il prévoit une distance de 1,5 mètre entre les spectateurs (l’équivalent de deux sièges), mais pour les artistes sur scène, en répétition autant qu’en représentation, c’est toujours 2 mètres de distance…

En humour et même en théâtre, c’est possible de manœuvrer (même si, clairement, ça demeure un défi), mais en danse et en cirque, c’est encore plus complexe…

« Les numéros ou les spectacles comportant des duos ou des groupes et des contacts physiques sont évités, sinon les artistes doivent porter un masque de procédure et une protection oculaire (lunettes de protection ou visière recouvrant le visage jusqu’au menton) », peut-on lire dans le document gouvernemental rendu public la semaine dernière.

Dans ce contexte, le secteur du cirque demeure extrêmement fragile, nous dit le directeur général et artistique de la TOHU, Stéphane Lavoie.

Tant que les artistes doivent être à 2 mètres les uns des autres, je n’ai pas de spectacle de cirque. [Même si on était] 300 ou 500 dans la salle, mon enjeu est sur scène. Et en ce moment, je ne peux rien faire. À moins de faire des solos ou des cabarets.

Stéphane Lavoie, directeur général et artistique de la TOHU

Au cours des discussions avec le ministère de la Culture pour l’élaboration du Guide des normes sanitaires, l’idée qu’une troupe d’artistes soit en confinement pendant deux semaines, dans une sorte de bulle, avant et pendant une série de représentations a été lancée. Après tout, c’est ce que les équipes sportives sont en train de mettre en place pour reprendre leur saison.

« Ils ne veulent pas, indique Stéphane Lavoie. En même temps, mettre un groupe de 8 à 10 personnes ensemble dans un appartement pendant deux semaines, en plus de la durée des représentations, ce n’est pas simple non plus », admet le directeur général de la TOHU. Sans parler des répétitions, qui sont assujetties aux mêmes normes.

Les couples qui étaient ensemble avant le début de confinement peuvent bien sûr avoir des contacts sur scène, les compagnies pourraient ainsi cibler les couples d’artistes ou les artistes colocataires pour monter un spectacle, mais ce modus operandi a ses limites. D’ailleurs, les compagnies de cirque québécoises sont toutes au point mort aujourd’hui.

Il va falloir trouver des solutions parce que pour l’instant, je ne vois pas comment on peut programmer quoi que ce soit à l’automne. Il faut apprendre à vivre avec ce virus et à gérer le risque, comme on le fait avec la population en général. Je ne ferai pas de spectacle dans les conditions actuelles, c’est sûr.

Stéphane Lavoie, directeur général et artistique de la TOHU

Si au moins les compagnies pouvaient faire les tests de dépistage de leurs artistes quotidiennement, avant chaque représentation (quand on aura accès aux résultats instantanés), ça permettrait d’avoir des distributions d’artistes « COVID-19 négatifs », mais les appareils qui permettent ce genre d’analyses en 30 minutes (conçus par la société Spartan Bioscience) ne sont pas encore disponibles.

Seul point positif pour Stéphane Lavoie, la réouverture, dès lundi, des studios d’entraînement – que ce soit ceux de l’École nationale de cirque, de la TOHU, du Cirque du Soleil, des 7 Doigts, d’Éloize, de la Caserne 18-30, etc.

« C’est la priorité, parce qu’un artiste de cirque qui ne joue pas, qui ne s’entraîne pas, c’est sûr qu’il va se blesser. Comme les danseurs d’ailleurs. Les artistes des Grands Ballets sont dans une situation semblable. Ce qui fait que l’automne s’annonce assez décousu, avec des spectacles faciles à déplacer, parce qu’on ne sait pas non plus quelle sera l’ampleur de la deuxième vague… »

Un milieu fragilisé

À travers cette crise, c’est tout le milieu du cirque québécois, avec ses quelque 80 compagnies et 10 000 artistes, concepteurs, techniciens et gestionnaires qui sont cloués au sol. Dans un récent sondage mené par le Regroupement national des arts du cirque En Piste, les deux tiers des artistes interrogés songeaient à un changement de carrière.

Il y a deux semaines, le collectif des 7 Doigts a mis en ligne une vidéo de quatre minutes qui met en vedette des artistes de cirque d’une dizaine de compagnies d’ici. Des 7 Doigts, bien sûr, mais aussi d’Éloize, Alfonse, Machine de Cirque, Flip Fabrique, Barcode, Lion Lion, Throw2Catch et Kalabanté, entre autres, tout en rendant hommage à l’ensemble du milieu.

> Voyez la vidéo en entier

« On a senti que tout le monde était un peu dans son coin et que c’était le bon moment de se rassembler pour montrer que le cirque québécois est là, nous dit le cofondateur des 7 Doigts Sébastien Soldevila. Pour mettre en valeur les artistes, les concepteurs, mais aussi les compagnies, les techniciens, tous les travailleurs de cette industrie qui n’ont plus de travail. »

Avec le Cirque du Soleil, qui emploie à lui seul 1600 artistes de cirque – et qui est amarré pour au moins un an, selon son PDG actuel Daniel Lamarre –, les nombreux artistes qui réorientent leur carrière, les diplômés qui peinent à s’entraîner et qui ne pourront se faire les dents dans le circuit des tournées internationales, arrêtées jusqu’à nouvel ordre, l’avenir du cirque est-il compromis ?

« Les activités de cirque ne vont pas redémarrer du jour au lendemain, ce qui fait que les écoles auront le temps de former des artistes, répond Stéphane Lavoie. Ceux qui n’avaient pas de boulot auront le temps de se remettre en forme et de s’entraîner. Et avant de reprendre les tournées internationales, on va pouvoir se concentrer sur le Québec, donc j’ai l’impression qu’on va pouvoir s’ajuster. Mais plus le redémarrage est loin, plus ça va être difficile. C’est sûr que si ça dure deux ans, on s’en reparlera… »

Le milieu du cirque mise beaucoup sur l’aide de 10 millions promise par le ministère de la Culture il y a 10 jours. Une somme qui sera versée par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) à même l’enveloppe de 50,9 millions promise aux arts de la scène dans le plan de relance de 400 millions, mais dont la distribution des fonds et les modalités de programmes n’ont pas encore été précisées.

« Pour sauver notre industrie, il faut trouver des façons de limiter les risques au maximum pour les artistes et les techniciens, même si on est encore pris avec la COVID, croit Stéphane Lavoie. Et faire confiance aux artistes. Parce qu’ils sont sérieux. Ils ne prennent pas ça à la légère parce que c’est leur métier. Les artistes de cirque veulent travailler, ils vont prendre toutes les mesures [nécessaires] pour ne pas l’avoir, la COVID, parce que le cirque c’est leur raison de vivre, ce n’est pas un truc qu’ils font pour le fun, en attendant. »