Un sondage réalisé auprès de 561 artistes et compagnies de cirque au pays révèle la grande précarité du milieu du cirque, qui vit la crise la plus importante de son histoire, selon le regroupement national des arts du cirque, En Piste.

L’impact de la crise de la COVID-19 sur les artistes et les compagnies de cirque est majeur. Non seulement 75 % des répondants estiment que leurs pertes « mettent en péril leurs activités », mais 66 % des artisans du cirque envisagent aussi une transition de carrière.

Les deux tiers des répondants ont en effet indiqué qu’ils envisageaient une « transition de carrière » (9 % sûrement, 57 % possiblement), une bien mauvaise nouvelle pour le milieu du cirque, qui réclame maintenant une aide financière des gouvernements, notamment pour avoir accès à des lieux d’entraînement et de création, mais aussi pour mener une campagne de relance culturelle auprès de la population le moment venu.

« Cette information-là [des artistes qui songent à un changement de carrière] m’a jetée à terre, nous dit la directrice générale d’En Piste, Christine Bouchard. Et puis je me suis sentie très triste parce que ça indique à quel point la crise est profonde. Comment un artiste de cirque peut-il survivre quand le marché s’effondre ? Quand les compagnies ne peuvent plus tourner ? Quand l’artiste de cirque ne peut plus présenter ses numéros, ni même s’entraîner ? Ce n’est pas possible. »

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTINE BOUCHARD

La directrice générale du regroupement En Piste, Christine Bouchard

Les pertes totales et cumulées de revenus en cachets — répétitions, spectacles, tournées, évènements d’entreprise (« corpo »), enseignement, etc. — au 31 juillet sont évaluées à près de 6,7 millions par les artistes, tandis que les pertes de revenus des compagnies de cirque sont estimées à plus de 19 millions, selon les résultats de ce sondage réalisé en avril par En Piste.

En conséquence, les artistes de cirque ne sont plus en mesure de planifier leurs activités professionnelles ni de s’entraîner, une des grandes préoccupations exprimées dans cette enquête où on a sondé 477 individus et 84 compagnies de cirque. « Les infrastructures en cirque, les équipements ne sont pas un luxe, insiste Christine Bouchard. C’est un besoin, une nécessité. »

Dans un mémoire déposé au ministère de la Culture et des Communications au mois de février, dans le cadre des consultations prébudgétaires, En Piste sonnait déjà l’alarme sur le « sous-financement » du milieu du cirque et sur sa « vulnérabilité ».

« Il faut savoir que 90 % des revenus du secteur des arts du cirque proviennent de l’exportation des spectacles à l’étranger, rappelle la directrice générale d’En Piste. Donc, avec la fermeture des frontières et des théâtres, ç’a été catastrophique pour notre milieu, qui est d’ordinaire assez autonome, qui ne reçoit que très peu de subventions et qui est en quelque sorte victime de son succès. »

Avant la paralysie des arts de la scène entraînée par la fermeture des salles de spectacles, En Piste avait formulé plusieurs demandes au ministère de la Culture et des Communications, dont celle d’accroître son soutien financier, entre autres par une augmentation des budgets annuels du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) de 10 millions et par un soutien additionnel aux écoles professionnelles de cirque de 2,5 millions.

« Il y a une fausse perception de richesse des artistes de cirque », nous dit Christine Bouchard. Le sondage mené en avril en fait foi. Le tiers des 561 répondants (32 %]) ont déclaré des revenus annuels inférieurs à 20 000 $ ; 40 % avaient un revenu annuel variant entre 20 000 et 40 000 $ ; 16 % se situaient entre 40 000 et 60 000 $ ; et seuls 12 % avaient des revenus supérieurs à 60 000 $.

« C’est très paradoxal, note Christine Bouchard, parce que le cirque a connu une croissance phénoménale au cours des dernières années, Montréal est reconnu comme une ville de cirque, ses artistes se promènent partout à travers le monde, ils sont une référence dans les arts du cirque, et là, du jour au lendemain, tout le milieu est fragilisé, parce qu’il y a un défi de financement public par rapport à d’autres arts de la scène ; on a toujours été un exemple d’autofinancement, mais a besoin d’un filet de sécurité comme les autres. »

Mme Bouchard évoque le Cirque du Soleil, mais aussi toutes les autres compagnies qui rayonnent aujourd’hui dans le monde : Éloize, Les 7 Doigts, Alfonse, FLIP Fabrique, Machine de Cirque, pour ne nommer que celles-là.

Pour maintenir la créativité et l’innovation et mieux se structurer sur son territoire, le milieu du cirque a besoin d’une aide gouvernementale spécifique, insiste Christine Bouchard.

« Au-delà des programmes d’aide comme la PCU ou la subvention salariale, qui sont nécessaires en ce moment et qu’on apprécie, il faut revoir le financement public du cirque, à 12 millions en ce moment, pour des retombées économiques d’environ 125 millions [en excluant le Cirque du Soleil], pour préserver ce milieu qui est si créatif. »