Comment continuer lorsqu’on perd un être aimé ? Pour Daniel Finzi Pasca et sa troupe, la réponse est venue sous la forme d’un spectacle poétique d’une grande beauté, à mi-chemin entre le théâtre et le cirque : Per te. (« Pour toi »).

Le metteur en scène suisse de naissance — et montréalais de cœur — signe une œuvre intime (à l’image de Bianco su Bianco et Icaro) avec ce spectacle dédié à son épouse et partenaire de création, Julie Hamelin.

La Québécoise, conceptrice et productrice de cirque qui a cofondé le Cirque Éloize et la compagnie Finzi Pasca, est morte en mai 2016, à l’âge de 43 ans, d’une maladie cardiaque.

La compagnie amorçait alors une résidence de création au Théâtre du LAC à Lugano, en Suisse.

Plutôt que de tout abandonner, les proches de Julie Hamelin ont fait ce qui leur semblait le plus naturel : créer.

C’est ainsi, dans l’urgence et la tristesse, qu’est né Per te., qui a été présenté en première nord-américaine mercredi à Saint-Jérôme. On y découvre une troupe d’acrobates, de clowns, de musiciens, tous orphelins de Julie, à trois mois de la première d’un spectacle à venir. Ce spectacle, ils l’ont imaginé comme un jardin, le jardin imaginaire de Julie où elle gardait ses secrets et accueillait ceux qu’elle aimait.

Au cœur de ce jardin, Daniele Finzi Pasca a planté un banc rouge vif. C’est sur un banc en tout point identique que Julie Hamelin s’asseyait souvent, à Lugano. Ce banc accueille les rires, les chagrins, mais aussi les acrobaties, tout au long des multiples tableaux qui composent Per te.

Avec ce banc, le vent est l’autre ancrage du cette déclaration d’amour et d’amitié scénique. De grandes toiles deviennent des dragons, des voiles de mariée ou un cœur palpitant. Les feuilles mortes, les papillons et les flocons virevoltent dans un ballet aérien envoûtant.

À l’opposé, les acrobates subissent tout le poids de la gravité, équipés comme ils sont par moments d’armures de métal pesant chacune plus de 35 kg. La poésie scénographique imaginée par Finzi Pasca semble sans cesse attirée par ces deux pôles contraires, lourdeur et légèreté, cédant tantôt à l’un, tantôt à l’autre.

Le mot poésie n’est pas fortuit. Car Per te. demeure avant tout une œuvre poétique. Certes, on a droit à des numéros circassiens — contorsion, jonglerie, cerceau, roue Cyr… —, mais ici, la grâce lyrique surpasse à dessein la prouesse technique. Surtout, c’est la beauté visuelle des différents tableaux qui bouleverse, qui fascine et qui nous colle à la rétine.

Les segments parlés du spectacle sont moins réussis, toutefois. La poésie des mots est parfois plus hermétique que celle des images et on ne saisit pas toujours ce que les dialogues tentent de nous faire comprendre.

D’autant que la voix des interprètes se perd par moments au milieu de la musique (magnifique !) et du cliquetis des armures. Il faut de plus un certain temps pour se faire l’oreille à l’accent marqué de certains. On se retrouve du coup avec l’impression désagréable de rater des phrases qui auraient peut-être été essentielles pour mieux connaître cette Julie rieuse, combative et généreuse dont il est question.

Per te. est un spectacle imparfait, comme un diamant encore à tailler, comme un spectacle encore en chantier, ni lisse ni peaufiné. Mais comment peut-il en être autrement lorsque la mort emporte celle qu’on aime et que le sol se dérobe sous nos pieds ? L’émotion a été conservée sous sa forme la plus brute. Et il est bien difficile d’y résister.

★★★½

Per te. De Daniel Finzi Pasca. Au théâtre Outremont, du 25 ou 27 octobre et au Diamant, à Québec, du 30 octobre au 1er novembre.

Consultez le site du spectacle : https://finzipasca.com/fr/creations/per-te/