La Brésilienne Lia Rodrigues est de retour pour la première fois au FTA depuis 2011 avec Encantado, pièce-performance exaltée portée par une nuée de tissus colorés appelant à toutes les métamorphoses.

Depuis 1990, Lia Rodrigues brandit son art comme une arme pacifique pour susciter la réflexion sur notre monde, de la favela où elle a implanté Lia Rodrigues Companhia de Danças, au Brésil. Sa danse ne se comprend pas sans cette implication dans sa communauté et cette volonté sociale de faire tomber les murs qui nous enferment et nous divisent.

Le mot encantado évoque un enchantement, un sortilège. Et c’est un sort tissé de magie et d’émerveillement que la chorégraphe brésilienne jette au public avec cette création d’une heure portée par un mouvement incessant. Elle accouche ainsi d’une nouvelle cosmogonie et impose un règne nouveau, rendu possible par l’acte transformateur de la danse et qui passe par la manipulation d’une tonne de morceaux de tissus colorés, aux motifs bigarrés, véritable océan de matières où s’enroulent 11 danseurs à l’énergie folle et exaltée.

PHOTO SAMMI LANDWEER, FOURNIE PAR LE FTA

Encantado, une pièce à l’énergie folle et exaltée

Nus comme des vers, dans un silence complet, ils glissent d’abord sur la scène où s’étend une courtepointe de tissus amalgamés, mer tranquille qui sera bientôt soulevée par la houle des corps rampants, ondulants, s’élevant finalement, drapés de mille et une façons. Ils sont à la fois sculpturaux et grotesques, faciès exagérés à l’appui. Ici, un homme à la tête enturbannée frotte son ventre grossi, prêt à enfanter un nouveau monde, les yeux exorbités, pendant qu’en arrière-scène, déambule lentement un animal à la trompe tombante, formé de deux danseurs camouflés sous des couvertures.

Surgit alors, d’abord faiblement, puis de plus en plus fort, la musique rythmée des Guarani Mbya, un peuple ancestral de l’Amérique du Sud. Incantatoire, répétée en boucle infinie, elle est tout indiquée pour induire la transe. Au son de ses notes percussives et de ses chants scandés, les illusions se font et se défont, les danseurs devenus créatures se drapent de mille visages, mille formes, chacun s’avançant au-devant de la scène pour faire son numéro, seul, en duo ou en trio, suivi d’un ou de plusieurs autres, sans que jamais ce tourbillon circulaire ne s’arrête.

PHOTO SAMMI LANDWEER, FOURNIE PAR LE FTA

Les corps des danseurs sont affranchis dans une gestuelle instinctive, emportée.

Leurs corps, affranchis, indifférents aux diktats de l’apparence, deviennent porte-étendard d’une liberté affriolante, exutoire. La gestuelle est instinctive, emportée : ils sautent, grouillent, s’accroupissent, lancent bras et jambes autour d’eux, sans jamais lâcher ces tissus grâce auxquels ils se métamorphosent sans cesse.

Utilisés avec ingéniosité dans un capharnaüm sans nom, les morceaux de tissus bon marché aux multiples couleurs et motifs servent à installer un nouveau règne, celui d’une force humaine libérée, enchantée. Ils deviennent parures, pagnes, couvre-chefs, chiens gardant les portes de l’Enfer, déesses aux airs folâtres, oiseaux tournoyants dans le ciel, puis retournent au sol en masses difformes, avant d’être déplacés, lancés, reformés à nouveau. Une célébration du jeu et de l’imaginaire au souffle puissant, qui émerveille et surprend ; un acte créateur qui réutilise à l’infini la matière, dans un monde où règnent le jetable et l’obsolescence.

Et c’est ce qu’Encantado nous invite à faire, au bout du compte : retrouver cette insouciance liée à l’enfance, où on se déguise, on se cache dans les piles de tissus, on fabrique avec légèreté et amusement des univers éphémères et magiques. Derrière ces gestes se dessine l’espoir d’un autre monde, celui où toutes nos différences se retrouvent sublimées dans une courtepointe colorée, qui ne demande qu’à être célébrée.

Encantado

Encantado

Lia Rodrigues

Usine C, Les 7 et 8 juin, 19 h

7,5/10