Marie Chouinard a l’habitude de tourner à l’étranger avec ses nouvelles créations avant de les présenter, bien rodées, en terre québécoise. Pas cette fois avec M, sa nouvelle offrande. Et ce n’est pas le seul risque qu’elle prend avec cette œuvre.

Œuvre d’art chorégraphique, tableau vivant, installation artistique mouvante, M est un objet esthétique réussi. L’univers que déploie la créatrice dont la réputation n’est plus à faire frappe la rétine avec ses couleurs vives, ultra-saturées : perruques fuchsia, jaune néon, orange électrique, accordées à des pantalons arborant les mêmes teintes vitaminées, font office de costume. La douzaine de danseurs, tous torse nu, sont également habillés par les effets d’éclairage qui rendent leur peau crayeuse, bleutée, luminescente.

Les mouvements générés par la respiration et le souffle, qui prennent leur origine dans la colonne vertébrale et la cage thoracique pour ensuite se répandre dans tout le corps, sont des motifs récurrents chez Chouinard. Elle semble s’être inventé pour cette pièce, dont la création a été entamée durant la pandémie, un terrain de jeu pour y plonger entièrement, librement.

Le souffle et la voix des danseurs deviennent ainsi les matières premières de cette création d’une heure, se déployant sur une scène nue, sans coulisses ni accessoires – outre un petit micro déposé au sol et une grande toile en arrière-scène, chatoyant de mille et une couleurs au fil des tableaux.

Enregistrée puis échantillonnée, travaillée en boucle avec des sons de la nature et autres effets sonores, cette matière brute humaine se transmute en un environnement sonore texturé, organique, dépaysant, vecteur de l’élan des corps, qui suivent les pulsations et rythmes ainsi générés.

Le résultat est étrange, amusant, hypnotisant, parfois surréaliste. Une vraie chorégraphie du souffle, incarnée dans les corps de fascinante façon.

Ce faisant, la chorégraphe va où on ne l’attend pas nécessairement, dans une exploration à la fois ludique et formelle de mouvements générés par le souffle humain. Le corps prend vie, s’allonge, se contracte, se torsionne, porté par cette pulsion vitale. Une gestuelle qui passe beaucoup par les torses nus des danseurs (ceux-là mêmes qui ont censurés par Meta dans une campagne promotionnelle du spectacle faite par Danse Danse sur les réseaux sociaux), dont on peut admirer tout le travail de précision et de finesse, dans des séquences dansées en synchronicité ou en canon.

Les danseurs habitent l’espace de leur présence, affichent un air mutin, le regard perçant, le corps vibrant d’émoi. On ne se lasse pas de les regarder, happés. Pas de doute, on peut compter sur Marie Chouinard pour nous sortir du quotidien, nous déprogrammer et nous amener ailleurs, en terres inconnues.

Quelle est la finalité de cette pièce, demanderont certains, son sens ? Et si c’était l’acte créateur lui-même, écho à ce souffle originel, générateur de vie ? Les œuvres de Chouinard ont toujours ce petit quelque chose qui les rend rébarbatives à l’intellectualisation. Et c’est peut-être très bien ainsi.

M

M

Marie Chouinard/présenté par Danse Danse

Au Théâtre Maisonneuve, Jusqu’au 4 février

7/10