Les drags évoluant dans les bars sont payées environ 100 $ pour quatre chansons depuis plus de trois décennies. Un cachet ridiculement bas selon plusieurs artistes, qui investissent des sommes importantes dans leurs costumes et dans la préparation de leurs numéros.

Barbada affirme que les salaires n’ont pratiquement pas bougé en 17 ans de carrière. « Au début, j’étais payée 25 $ par chanson au Cabaret Mado, la fin de semaine. Aujourd’hui, c’est 150 $ pour quatre chansons. Mon salaire a augmenté, mais une drag qui commence là-bas peut toucher jusqu’à 125 $. Au Cocktail, c’est 100 $. »

Se considérant comme sous-payée, Aizysse Baga affirme que les drags québécoises s’investissent plus qu’ailleurs. « Aux États-Unis et ailleurs au Canada, les drags ont beaucoup de pourboires, ce qui est peu fréquent au Québec. Pourtant, là-bas, elles changent beaucoup moins de costumes qu’ici. »

La popularité des drags à la télévision a également fait augmenter les attentes du public. « On veut sortir du lot, mais quand on porte un costume à 500 $, c’est long à rembourser », révèle Wendy Warhol.

Personne n’est obligé d’investir autant. Mais comme la compétition est élevée, ce n’est pas nécessairement avec des looks à 25 $ que tu vas te démarquer.

Wendy Warhol

Les cachets sont loin des normes de l’Union des artistes, qui exige au moins 150 $ par performance. « Cela dit, les bars ont une part de risque, avance RV Metal. Puisque j’ai une boîte de production, je comprends les enjeux. Ils ne veulent pas que ça leur coûte de l’argent pour produire une soirée. »

N’empêche, le drag king déplore la part à investir en « bénévolat » en début de carrière. « Il y a une loi non écrite voulant que pour faire partie du milieu, il faut participer à un concours qui dure plusieurs semaines sans rémunération. »

Qu’en disent les employeurs ?

« Les cachets ont toujours été petits, affirme Michel Dorion, copropriétaire du bar Le Cocktail. Je suis drag depuis 34 ans et je gagnais 100 $ pour quatre chansons dans le temps. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Dorion, copropriétaire du bar Le Cocktail et lui-même drag queen

Il rappelle que son établissement a longtemps présenté cinq soirs de spectacles gratuits par semaine. « On arrivait flush à la fin de l’année », dit-il. Depuis quelques années, les frais d’entrée l’aident, mais à moitié.

Il faudrait augmenter énormément [les frais d'entrée] pour donner aux artistes un cachet qui couvrirait leurs dépenses, mais je ne crois pas que les bars pourraient garder la même fréquence de représentations.

Michel Dorion

Michel Dorion réfléchit néanmoins à une augmentation salariale depuis que le Cabaret Mado a augmenté ses cachets. « Les drags ne sont pas assez payées, soutient pour sa part Mado Lamotte. J’ai augmenté un peu les salaires récemment. Et on a augmenté les frais d’entrée par le passé. »

Dépenses à la carte

Si les cachets sont remis en question, les dépenses le sont aussi. En effet, une drag qui travaille cinq soirs par semaine pourra rentabiliser ses costumes et présenter certains numéros à plus d’une reprise, contrairement à une collègue qui travaille une fois par mois et qui tient à changer d’allure chaque fois. « C’est plus payant pour celles qui travaillent quasi quotidiennement », souligne Mado Lamotte.

Par contre, si une drag investit des sommes colossales, le rendement de l’investissement est plus incertain. « Quand une drag dépense 2000 $ pour un costume parce qu’elle veut être la plus belle, elle finit par payer pour venir travailler », illustre Mado. 

RV Metal rappelle que le temps vaut de l’argent. « Quand tu crées ton costume, ça coûte les matériaux et ça prend des heures de travail. C’est difficile d’en vivre. Ce n’est pas pour rien que la plupart des drags ont un autre métier. »

Alors, pourquoi continuer ?

Pour apprendre, nous disent les personnes interviewées. « Les drags peuvent créer dans un environnement sur une base régulière », répond Michel Dorion. D’autres parlent d’une carte de visite. « Tu ne peux pas faire juste des bars pour l’argent, dit Wendy Warhol. C’est plus une façon d’être vue. Ça finit par nous offrir des occasions ailleurs. »

Aizysse Baga partage son avis. « Travailler dans les clubs permet de rester dans le coup. Je n’ai pas le choix de jouer dans les bars. C’est souvent là que les gens me voient pour m’offrir d’autres contrats. » Elle profite des mandats à l’extérieur des clubs pour être payée décemment. « On m’a appris à ne jamais demander moins de 100 $ par numéro dans ce contexte. »

Sortir des bars

De l’avis général, les contrats privés peuvent être immensément payants. « C’est pour ça que certaines drags qui ont participé à RuPaul’s Drag Race arrêtent de performer dans les bars, dit Barbada. On peut faire un contrat à 1000 $ qui va remplacer 10 soirs dans les clubs. »

Bien qu’elle n’y joue pratiquement plus, elle ne les abandonne pas. « C’est là qu’on se fait voir. Je ne peux pas dire aux gens de venir me voir en show au mariage de Jean et Luc que j’anime. »