Si de nombreuses salles de spectacles, de cinéma et de théâtre ont jonglé avec l’idée de mettre leurs activités sur pause en raison du couvre-feu de 20 h à Montréal et à Laval, elles ont presque toutes choisi de persévérer… pour l’instant.

Les cinémas Beaubien, du Parc et du Musée se donnaient le week-end pour décider s’ils poursuivaient leurs activités. Depuis dimanche, aucune représentation n’apparaît à l’horaire après 16 h 30, une contrainte qui s’ajoute au resserrement de la distanciation physique dans les lieux culturels, de 1,5 à 2 m, depuis le 8 avril.

« Même en fonctionnant avec une jauge très réduite, à peu près 80-85 % des séances sont à guichets fermés, observe Mario Fortin, président-directeur général des trois établissements. Ça veut dire que les gens ont besoin de ça. On va se considérer comme un service essentiel. Pour l’instant, on reste ouvert. On y va un jour à la fois. »

Conséquence de cette prudence, les réservations sont bloquées au-delà de deux jours.

Autre tuile : face aux contraintes, dont la fermeture des cinémas à Gatineau et à Québec, les Films Opale ont annoncé lundi qu’ils retiraient des salles québécoises Le Club Vinland, long métrage québécois au sommet du box-office.

Chez Cineplex, pas question pour l’instant de crier « Coupé ! », même si « les deux prochaines semaines risquent d’être difficiles ». « Il va falloir regarder s’il va y avoir d’autres restrictions, précise Daniel Séguin, vice-président principal de l’exploitation. Même si la situation n’est pas idéale, on demeure en opération. »

Séances devancées

Du côté des salles de théâtre, presque toutes les séances compromises par le couvre-feu de 20 h sont devancées aux alentours de 17 h 30. C’est le cas de L’amour est un dumpling, dont quelques représentations devaient avoir lieu à 19 h. « Environ 80 % des gens ont été willing pour conserver leur billet », se réjouit Jean-Simon Traversy, codirecteur artistique chez Duceppe.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Nathalie Doummar et Simon Lacroix dans L’amour est un dumpling.

Les sièges libérés permettront de replacer les spectateurs — environ 22 par séance — qui ont été chassés par les nouvelles normes de distanciation physique. En ce qui concerne la pièce King Dave, initialement prévue à l’automne 2020, la direction attend encore un peu avant de fixer des dates. « Dans deux jours, on peut se reparler et tout va être fermé, explique M. Traversy. Pour l’instant, on a la chance de rester ouvert et que la culture soit considérée comme essentielle. »

Au Théâtre d’Aujourd’hui, qui rouvre ses portes le 20 avril avec Corps Titan, l’équipe s’employait lundi à modifier l’horaire des représentations selon les disponibilités des artistes, « un beau défi ». Surtout que la pièce dure deux heures et demie.

Devancements en série aussi au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) pour La renarde et le mal peigné, qui a pu compter sur la disponibilité des acteurs.

Les contorsions se font sentir auprès du public, qui commence à être un peu bousculé. Il y a tellement de communication de notre part pour tantôt dire qu’on est fermé, tantôt vendre des billets, rouvrir nos portes, revendre des billets, redire qu’on est fermé, redire qu’on rouvre, puis que le couvre-feu a changé. La logistique demande un temps fou. Les spectateurs sont d’une patience et d’une compréhension, mais il ne faudrait pas que ça dure.

Lorraine Pintal, directrice générale et artistique du Théâtre du Nouveau Monde

Que ça dure jusqu’en mai et juin, par exemple, mois durant lesquels les reprises des représentations de L’avalée des avalés et 887 affichent complet. « Imaginez appeler tout ce monde-là, en plus avec les 2 mètres, qui diminuent la capacité de 200 spectateurs à 160-170. Qu’est-ce qu’on fait avec ces gens-là ? On fait tout sauf du théâtre. »

« Tous ceux qui peuvent devancer les séances l’essaient, constate Catherine Voyer-Léger, directrice générale du Conseil québécois du théâtre (CTQ). Je suis même un peu étonnée. Tout le monde a été touché par l’engouement quand les billetteries ont été ouvertes. Les gens surfent un peu sur cette preuve d’amour-là du public pour trouver des solutions miracles. Pour l’instant, je sens plus de résilience que de colère. »

Selon les diffuseurs, le télétravail facilite les contorsions d’horaire pour les détenteurs de billets de spectacle.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Olivier Kemeid, directeur artistique et codirecteur général du Théâtre de Quat’Sous

Au Théâtre de Quat’Sous, toutefois, le couvre-feu risque de sonner le glas de la saison 2020-2021.

On est en train d’évaluer le tout, mais on pense fermer. On devait annoncer un spectacle, mais on a pris la décision de ne pas le faire : même avec 37 sièges, si on avait eu la certitude de pouvoir le faire, on l’aurait fait, mais l’épée de Damoclès continuelle épuise à la fois notre équipe et les artistes. Quand le couvre-feu a été remis à 20 h, avec un spectacle qui dure 1 heure 40, ça rendait la chose vraiment impossible.

Olivier Kemeid, directeur artistique et codirecteur général du Théâtre de Quat’Sous, résigné

Mince consolation, les 35es auditions générales pour les finissants 2019 et 2020 des écoles spécialisées en art dramatique se tiendront du 17 au 21 mai quoi qu’il arrive, avec ou sans public.

Le Quat’Sous a bon espoir de pouvoir présenter une programmation avec jauge réduite en septembre, et des représentations quasi normales dès janvier 2022.

Reports et annulations

En ce qui a trait aux salles de spectacles, elles doivent non seulement composer avec des séances devancées, mais, pour la énième fois, avec des reports et des annulations en raison du couvre-feu. Par exemple, les concerts de Dumas qui devaient avoir lieu cette semaine à La Tulipe ont été repoussés à une date ultérieure. Reports que La Tribu n’a pas voulu commenter.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Louis-José Houde

Au Lion d’Or, salle indépendante du Centre-Sud, le nouveau calendrier se dessine presque en temps réel. Les spectacles de Louis-José Houde prévus à 19 h ont été annulés, mais ceux de 16 h et 17 h sont maintenus. Les humoristes Guillaume Pineault et Sam Breton y fouleront aussi les planches en fin de journée. « On a de quatre à six reports par semaine pour les deux prochains mois, note Sara Castonguay, directrice générale et artistique. Vu la complexité du calendrier, on a décidé d’y aller à la semaine. Il y a tellement de changements de dernière minute. »

On prenait des décisions aux mois, ensuite aux deux semaines, et là on est aux 48 heures.

David Laferrière, président de l’organisme RIDEAU, qui regroupe plus de 350 salles de spectacles au Québec, dont quelques-unes à Laval et à Montréal

Peu importe les mesures sanitaires, le directeur du Théâtre Gilles-Vigneault de Saint-Jérôme remarque que l’enthousiasme des spectateurs s’est étiolé avec la troisième vague, du moins dans les salles pluridisciplinaires.

« Pour les spectacles plus grand public ou ceux qui se promènent d’une salle à l’autre, depuis que la troisième vague est sérieusement dans l’actualité, on ne vend plus de billets. Ceux qui viennent nous voir sont super contents malgré les contraintes, mais le discours finit par s’installer dans la tête du monde. On dit : « Ne sortez pas, ne sortez pas », mais on garde les salles ouvertes. »

David Laferrière, du RIDEAU, et Catherine Voyer-Léger, du CTQ, saluent la combativité de leurs membres, mais disent de plus en plus s’inquiéter pour le moral des troupes, à force d’allers-retours et de « picossage ». « Il y a beaucoup d’épuisement », ont-ils tous deux constaté.

Une version antérieure de ce texte indiquait que les spectacles de Louis-José Houde au Lion d’Or ont été annulés. C’était une erreur. Seuls ceux de 19 h ont été annulés. Les autres sont maintenus.