Les salles de spectacles et les cinémas ont dû fermer leurs portes dès 17 h, ce lundi, pour une durée indéterminée. Cette mise à l’arrêt fait partie d’une série de nouvelles directives sanitaires émises en après-midi par le ministre de la Santé, Christian Dubé.

Les travailleurs autonomes des arts de la scène n’auraient pas pu imaginer pire cadeau à l’approche du temps des Fêtes. Nombreux se retrouvent désœuvrés et sans revenus, alors que les aides salariales d’urgence du gouvernement fédéral sont périmées.

« Ce n’est pas une bonne journée », laisse tomber Luc Fortin, guitariste et président de la Guilde des musiciens et des musiciennes du Québec. « C’est vraiment dramatique. À la veille des Fêtes, on se ramasse sans aucun revenu, on n’a plus rien. L’avenir est incertain. On n’a pas de date de reprise. C’est très difficile pour le moral. »

À quand les chèques ?

La Prestation canadienne d’urgence (PCU) et la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) seront remplacées par la Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement (PCTCC). Or, aucun délai pour la distribution des premiers chèques n’a encore été fixé.

« Il faut que le fédéral se dépêche à mettre ça en place très rapidement, parce que les prochaines semaines vont être difficiles », plaide M. Fortin.

Dans le contexte du temps des Fêtes, c’est très éprouvant pour les familles.

Luc Fortin, guitariste et président de la Guilde des musiciens et des musiciennes du Québec

Le Regroupement québécois de la danse, lui aussi, s’« inquiète énormément » pour ses membres qui risquent de tomber « dans les craques ». « La majorité des professionnels de la danse sont des travailleurs autonomes, qui n’ont pas d’assurance-emploi, explique Nadine Medawar, directrice générale de l’association. On demande au gouvernement fédéral de réinstaurer rapidement la PCU. »

Discussions Québec-Ottawa

« À la lumière de la situation en matière de santé publique et des nouvelles restrictions imposées dans un certain nombre de provinces, nous évaluons activement si des ajustements réglementaires sont nécessaires pour offrir une plus grande souplesse aux mesures de soutien contenues dans le projet de loi C-2 », a réagi dans un courriel Jessica Eritou, porte-parole de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, sans fournir d’autres précisions.

« Notre gouvernement est en discussion avec le gouvernement fédéral pour voir si des aides directes pourraient être adaptées rapidement », indique Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications, dans une déclaration transmise à La Presse.

Tout en admettant que l’annonce de lundi est « un dur coup aujourd’hui pour les salles de spectacles et pour les cinémas », elle assure que « la situation actuelle ne laissait malheureusement aucun choix ».

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Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications

Nous nous sommes entretenus aujourd’hui avec les représentants des artistes et des différents secteurs. Je leur ai assuré que nos mesures d’aide déjà en place se poursuivront et qu’elles seront adaptées à la nouvelle situation.

Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications

Du côté des diffuseurs, qui comptent sur des aides à la billetterie, les défis sont d’abord organisationnels et humains. La restriction de jauge de 50 %, annoncée jeudi et en vigueur à partir de minuit dans la nuit de dimanche à lundi, aura finalement duré moins de 24 heures.

La mise sur pause des arts vivants est venue « beaucoup plus vite que j’aurais pensé », dit David Laferrière, président de l’organisme RIDEAU, qui regroupe plus de 350 salles de spectacles au Québec. « J’ai une pensée pour les collègues qui ont passé le week-end à essayer de modifier leurs plans de salle et à rappeler les détenteurs de billets juste avant le temps des Fêtes. »

Scénarios « soupesés »

Au Théâtre du Rideau Vert, les mesures annoncées lundi succèdent à un branle-bas de combat, le week-end dernier, pour réorganiser les représentations de 2021 revue et corrigée. « Nos équipes étaient mobilisées depuis vendredi matin dernier pour se plier à la nouvelle consigne des 50 % de capacité, raconte Céline Marcotte, directrice générale du théâtre. On était en train d’allouer un nouveau siège, voire une nouvelle représentation, à tous les spectateurs. C’était réglé pour [mardi soir], avec une salle de 200 personnes plutôt que 400. » Ils seront finalement… zéro.

Les comédiens et chanteurs de la revue de fin d’année ont pris part à une vingtaine de représentations. Ils ont su après coup que celle de samedi dernier était leur dernière.

J’ai deux sentiments contradictoires. Je suis très très déçue, et en même temps, je comprends tellement.

Céline Marcotte, directrice générale du Théâtre du Rideau Vert

Comme le Rideau Vert, de nombreux théâtres attendront le retour des Fêtes pour évaluer leurs options de billetterie à la lumière du contexte pandémique. C’est le cas chez Duceppe, qui a suspendu la vente de billets pour Salle de nouvelles, à l’affiche le 12 janvier. « On est en train de soupeser tous les scénarios, explique Jean-Simon Traversy, codirecteur artistique du théâtre. On est conscients que l’effort collectif est encore nécessaire, mais c’est difficile. C’est comme jouer dans Le jour de la marmotte. »

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Jean-Simon Traversy, codirecteur artistique chez Duceppe

Les représentations de J’aime Hydro, du 7 au 9 janvier, avaient été reportées avant même le coup de barre de lundi. Dans les derniers jours, de nombreux spectacles ont été annulés ou repoussés pour faire face à la prolifération des cas de COVID-19. Partie remise, notamment, pour des performances des Cowboys Fringants, de Safia Nolin ou de Louis-José Houde.

« Entre l’annonce de jeudi soir et celle de lundi, j’ai coup sur coup annulé The Dears samedi soir et un show de jazz dimanche après-midi, parce qu’il y avait des soupçons de COVID dans les bands », explique M. Laferrière, directeur général du Théâtre Gilles-Vigneault à Saint-Jérôme. « On n’avait jamais vu ça avant. »

Il y a quelques semaines à peine, l’industrie du spectacle semblait pourtant entrevoir le bout du tunnel. « Il y avait une reprise, un engagement envers les artistes, pas juste les valeurs sûres, note le président de RIDEAU. Le lien de confiance avec le public est vraiment en train de s’étioler. Ça m’inquiète. »

Le moral au plancher

M. Laferrière note par ailleurs que les équipes sur le terrain sont épuisées. « Ça va être difficile de motiver les troupes. Je suis inquiet pour mes collègues. J’espère juste que la santé psychologique de tout le monde va tenir le coup. »

« On avait tellement travaillé fort pour reconstituer une équipe », illustre Michel Sabourin, président du Club Soda et porte-parole de l’Association des salles de spectacles indépendantes du Québec (ASSIQ). « On avait une prévisibilité pour le printemps, pour encourager notre monde à revenir travailler dans le vestiaire, à l’entretien ou à la billetterie. » Dans « l’incertitude totale » pour cet hiver, tout risque d’être à recommencer, craint-il.

Elle aussi préoccupée pour les artistes et les artisans de la scène, Nadine Medawar, du Regroupement québécois de la danse, demande à Québec de renforcer les programmes de soutien en santé mentale, plus particulièrement pour les travailleurs autonomes.

Mise à l’épreuve vague après vague, Lorraine Pintal se montre néanmoins optimiste.

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Lorraine Pintal, directrice générale et artistique du Théâtre du Nouveau Monde

On va passer au travers encore une fois, mais on fait preuve de beaucoup, beaucoup de résilience.

Lorraine Pintal, directrice générale et artistique du Théâtre du Nouveau Monde

Elle est notamment rassurée par la « compréhension » et l’« ouverture » du public vis-à-vis des nombreux chambardements. « On lève nos manches et on est dans les communications pour que personne ne perde espoir. »

Les activités du théâtre, en pause depuis le 18 décembre, doivent reprendre le 11 janvier avec la pièce Lysis, probablement en formule distanciée. Selon elle, la saison d’hiver dépendra beaucoup de l’administration d’une troisième dose de vaccins contre la COVID-19 au plus grand nombre de Québécois… « le plus vite possible ».