Après une pause forcée d’un an, c’est un Festival de la chanson de Tadoussac remanié, à la fois réduit et rallongé, qui a lieu cette année dans la magnifique ville située au confluent du fjord du Saguenay et du fleuve Saint-​Laurent. Alors que la saison des festivals s’amorce, nous y avons passé deux jours pour constater de quelles façons l’évènement s’est adapté, assister entre autres aux spectacles de Klô Pelgag et de Louis-Jean Cormier, et voir si les spectateurs étaient au rendez-vous.

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Julien Pinardon, directeur général du Festival de la chanson de Tadoussac, dans l’un des lieux où sont proposés des spectacles en pleine nature, avec vue imprenable.

Version remaniée

En temps normal, le Festival de la chanson de Tadoussac dure quatre jours et se déroule autour de la première fin de semaine de juillet. Après une « année blanche » en 2020, hormis quelques spectacles en août, les organisateurs ont décidé de le faire commencer cette année le 25 juin et de l’étirer sur 10 jours, jusqu’au 4 juillet. « On s’est lancés tôt dans une formule qu’on pensait qui pouvait fonctionner. L’idée était d’avoir moins de public à gérer en même temps, avec moins de scènes, pour avoir le plus de chances possible de tenir un festival », nous a expliqué jeudi le directeur général, Julien Pinardon, en nous faisant faire le tour des lieux magnifiques qui permettent de présenter des spectacles en « pleine nature ».

  • Le festival profite de la beauté de son emplacement pour proposer des spectacles dans des lieux inusités.

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    Le festival profite de la beauté de son emplacement pour proposer des spectacles dans des lieux inusités.

  • Des spectacles sont présentés dans l’agora naturelle de la pointe de l’Islet. Parfois, des mammifères marins s’invitent aussi, raconte Julien Pinardon.

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    Des spectacles sont présentés dans l’agora naturelle de la pointe de l’Islet. Parfois, des mammifères marins s’invitent aussi, raconte Julien Pinardon.

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Organiser un festival avec des mesures sanitaires qui évoluent a été un défi, note-t-il, d'autant que celui de Tadoussac est l’un des premiers de la saison. « On a eu beaucoup de réponses de dernière minute, et il a fallu virer de bord assez vite. Mais je trouve ça le fun, d’arriver à montrer que c’est possible. »

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L’église de Tadoussac, cœur du festival, où sont présentés de nombreux spectacles

Défi logistique

« On a préparé cette programmation dans l’espoir de redémarrer la machine, tant pour nous que pour les artistes. Ça n’a pas été un casse-tête parce que les artistes étaient disponibles, mais c’est surtout un grand défi logistique, pour le transport et l’hébergement, entre autres. » Au bout du compte, le même nombre d’artistes que d’habitude se seront produits au festival cette année, soit autour de 45, pour un total de 90 représentations. Pour la petite équipe du festival, le sprint habituel s’est cependant transformé en marathon.

Heureusement qu’il y avait moins de spectacles par soir et que ça se terminait moins tard. C’est moins intense et moins usant, sinon, on n’aurait pas passé au travers.

Julien Pinardon, directeur général du Festival de la chanson de Tadoussac

Deux spectatrices venues de Longueuil et habituées du festival, Marie-Andrée La Rocque et Michèle Gervais, rencontrées jeudi après quelques jours de festival, trouvaient cependant que la ville vibrait moins qu’à l’accoutumée. « Mais ça fait tellement de bien de revoir des spectacles. Ce sont nos premiers depuis plus d’un an, et on a adoré ça. » Si le ratio de touristes est resté le même, soit d’environ 85 %, Julien Pinardon se doutait que l’atmosphère festive serait diluée. « On savait que l’ambiance ne serait pas comme les autres années. Mais les gens ont acheté des billets avant même de savoir quelle serait la formule. Ils avaient besoin de cette magie. »

  • Le spectacle d’Anachnid s’est déroulé dehors, malgré la pluie.

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    Le spectacle d’Anachnid s’est déroulé dehors, malgré la pluie.

  • Gab Bouchard a donné un spectacle joyeux et rock’n’roll mercredi soir.

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    Gab Bouchard a donné un spectacle joyeux et rock’n’roll mercredi soir.

  • La pluie a forcé le festival à déplacer le spectacle de Gab Bouchard sous chapiteau.

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    La pluie a forcé le festival à déplacer le spectacle de Gab Bouchard sous chapiteau.

  • Le chapiteau, l’une des scènes du festival remanié

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    Le chapiteau, l’une des scènes du festival remanié

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La chanteuse d’origine oji-crie et micmaque Anachnid

Sous la pluie

À 16 h, mercredi, la chanteuse Anachnid faisait résonner son chant plein de douceur sur la scène extérieure derrière le presbytère – c’est là que bat le cœur du festival, autour de l’église située au centre de Tadoussac. La pluie tombait assez fort, mais les spectateurs étaient à l’abri sous des parasols, et Anachnid, protégée sous une tente, était heureuse. « Ça fait du bien de voir des visages et des sourires », a lancé la chanteuse d’origine oji-crie et micmaque, dont la voix flottait jusqu’au fleuve.

Je m’adapte aux lieux où je vais, et aujourd’hui, je chante pour les baleines.

Anachnid

Le temps incertain qui règne depuis l’ouverture du festival n’a forcé l’annulation que de deux évènements qui devaient se dérouler à l’extérieur, en « pleine nature ». « Mais c’est normal, à Tadoussac », dit Julien Pinardon, qui est dans l’organisation depuis huit ans, et directeur général depuis quatre. « On n’est jamais à 100 %. » Mais la pluie finit par être épuisante et ajoute à la complexité de l’évènement. « Il faut toujours trouver des solutions. Mais on est quand même heureux de pouvoir le tenir cette année. Plants and Animals et Bon Enfant, le week-end dernier, c’était sous la pluie, et les gens étaient contents quand même. » Mercredi soir, à cause de la pluie et aussi du froid qui s’installait, le spectacle de Gab Bouchard a d’ailleurs été déplacé sous chapiteau, derrière l’école.

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Klô Pelgag, à l’église de Tadoussac

Klô Pelgag

Klô Plegag a amorcé mercredi soir une mini-tournée de cinq festivals, qui l’amènera entre autres à La Noce, au Saguenay, et au Festival d’été de Québec. « J’ai l’impression que ça fait tellement longtemps », nous a-t-elle confié avant de monter sur la scène de l’église de Tadoussac. Depuis 2018, en fait, puisque 2019 avait été consacré à la création d’un nouvel album. « C’est apaisant de vivre ça en ce moment, et je suis super reconnaissante. » Pour elle, les festivals sont des lieux de partage avec les collègues et occupent une place à part dans son été.

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Klô Pelgag

C’est comme si tu avais plein de dates dans ton calendrier, et que celles-là avaient un petit drapeau.

Klô Pelgag

L’autrice-compositrice-interprète a peu joué les chansons de son nouvel album sur scène depuis sa sortie l’an dernier, et elle en ressentait vraiment le besoin. « La scène est vraiment une autre étape dans la création d’un album, et les tounes vont upgrader au fur et à mesure que la tournée va avancer. À la fin, on va être rendus ailleurs, et ce ne sera plus le même show. J’ai vraiment hâte d’arriver à ce moment où on va pouvoir dire qu’on le possède vraiment. »

Entourée de quatre musiciens, Klô Pelgag a interprété mercredi la majorité des pièces de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs dans des versions très organiques, et la richesse de ses mélodies s’y déployait autant que son originalité. Elle a été accueillie par un public enthousiaste et généreux, et des spectateurs se sont même levés pour danser un peu (sans se déplacer !) vers la fin. « C’est amusant de faire de la musique », a-t-elle dit avant de sortir de scène. « Mais on le fait pour vous. »

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Michel Robichaud (au fond), entouré de la cuvée 2021 des Chemins d’écriture

Les chemins d’écriture

Depuis une quinzaine d’années, le festival de Tadoussac réunit huit auteurs-compositeurs-interprètes de la relève dans un atelier de création intensif appelé Les chemins d’écriture. Créés par Xavier Lacouture, véritable légende qui traverse l’Atlantique une fois par année pour les animer, Les chemins d’écriture sont une séance de « déblocage d’imaginaire » à partir de contraintes. « Plus tu empêches le cerveau d’être libre, plus tu lui mets des contraintes de piétage, de rimes, de phonétique, plus tu donnes de l’espace au subconscient pour sortir des images », explique Michel Robichaud, qui a pris cette année le relais de Xavier Lacouture, que la quarantaine obligatoire a empêché de venir. « Je pense qu’il va revenir encore, pour finir ça en beauté, parce qu’il n’a pas eu l’occasion de le faire l’an dernier », dit Michel Robichaud, qui a lui-même participé en 2015 à l’évènement, qui est revenu assister Xavier Lacouture en 2019, qui a monté les mêmes ateliers dans les Laurentides et qui prendra vraisemblablement la relève à Tadoussac lorsque son mentor sera parti. Après avoir participé à tous les concours de la province, Michel Robichaud apprécie l’aspect non compétitif et purement créatif de Tadoussac. « À la fin des cinq jours, il y a un spectacle, mais les jeunes vont chanter des tounes qui font déjà partie de leur répertoire. C’est une tradition depuis 15 ans à Tadoussac de venir voir Les chemins d’écriture, et de venir à la découverte de ces huit artistes. Ils sont assis sur la scène comme ils sont assis ici, c’est très informel, ils arrivent avec leur énergie et leur chimie d’avoir passé la semaine ensemble. »

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Louis-Jean-Cormier

Louis-Jean Cormier

Louis-Jean Cormier venait à peine d’arriver en ville lorsque nous l’avons rencontré à l’hôtel Tadoussac, quelques heures avant le spectacle qu’il devait donner jeudi soir. « Ma relation avec Tadoussac remonte à presque aussi loin qu’avec Petite-Vallée, qui est un cas spécial à cause de ma famille. J’ai des souvenirs d’y avoir donné des spectacles avec mon premier band Calambour. J’avais 16-17 ans », nous raconte le chanteur originaire de Sept-Îles. Les festivals sont une occasion pour les musiciens de se mettre « dans un mode différent », et même si chaque évènement a son empreinte qui lui est propre, la notion du temps est particulièrement floue à Tadoussac, dit le chanteur en souriant.

Une édition marquante pour nous, c’est Karkwa, Malajube et Galaxie sur le terrain de l’auberge de jeunesse deux soirs de suite. Ça veillait…

Louis-Jean Cormier

Le fait que le festival soit concentré dans un périmètre très restreint permet aussi les rencontres et la proximité entre les artistes. « Tu manges sur une terrasse, tu vois passer les sœurs Boulay ou Jordan Officer… Et ce n’est pas les mêmes gens que tu croises à 4 h du matin ! Ou des fois oui, mais dans un état différent », rigole le chanteur. « Ça a à voir avec l’effervescence d’un festival, son côté vivant, l’électricité qu’il y a dans l’air. Et je pense que la musique est en grande partie responsable de ça. »

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Louis-Jean Cormier présentait jeudi soir son spectacle dans l’église de Tadoussac, dans le cadre du Festival de la chanson.

Retour à la normale

Il y avait un vent de fébrilité dans l’air frais de la Côte-Nord jeudi soir lorsque Louis-Jean Cormier est monté sur la scène à l’église de Tadoussac. Lui-même n’en revenait pas lorsqu’il a vu les gens debout en train de danser dès la fin de la deuxième chanson. « On est juste 150, mais imaginons qu’on est 150 000. C’est la première fois depuis le début de ma tournée que les gens peuvent danser sur ces arrangements ! » Le spectacle s’est ensuite déroulé entre « chansons récentes et très récentes » – le chanteur a sorti deux albums en un an. Du funk de Je me moi à la douceur de Croire en rien, qui avait quelque chose de cérémonial, chantée dans une église, Louis-Jean Cormier a livré un spectacle parfait pour marquer l’imaginaire d’un certain retour à la normale des spectacles, sans compte à rebours avant le couvre-feu, sans masques étouffant les voix, et avec service de bar. « Nous sommes contents de faire partie de cette édition spéciale du festival, et cette soirée va rester dans notre mémoire », a-t-il lancé avant de conclure avec Tout le monde en même temps. Quand on a vu les mains dans les airs et les corps bien distancés danser dans l’éclairage rosé, cette soirée a en effet trouvé sa place dans le rayon des moments inoubliables, grâce à l’énergie de la musique vivante et la magie d’un lieu où le temps n’a pas de prise.