(Las Vegas) Ça y est. C’est reparti. La première de Mystère a eu lieu à Las Vegas lundi soir, comme si de rien n’était. Ou presque. Émotion et bienveillance étaient au rendez-vous, devant un public conquis d’avance.

Mise à part ce mince clin d’œil en guise d’introduction (« Mesdames et messieurs, a lancé le clown, merci de vous joindre à nous en cette soirée magique, après une longue pause, l’entracte est terminé ! »), difficile de deviner, à vue de nez, la charge symbolique de ce retour en piste.

Et pourtant : le monde du divertissement en général, et le Cirque du Soleil en particulier, revient de loin. On le sait. Les artistes ont été arrêtés plus d’un an. Un an ou presque (mis à part quelques entraînements à droite et à gauche), sans grimper sur un trapèze, ou sauter sur un trampoline, on imagine que ça laisse des traces.

Et pourtant, disions-nous, au premier abord, rien n’y paraît. Tous les tableaux si typiques et grandioses du Cirque du Soleil étaient au rendez-vous, avec cette musique magistrale (eh que ça fait du bien d’entendre jouer si fort dans nos oreilles), ces numéros spectaculaires et ces costumes flamboyants. Surprises et gags inclus, bien sûr.

Les applaudissements fusent d’ailleurs après chaque exécution, peut-être un brin plus promptement que jadis, mais là encore, dur à dire. Cela fait si longtemps. Chose certaine, les 72 artistes du spectacle sont en forme, ils n’ont rien perdu de leur énergie, au contraire. La magie opère, que ce soient aux sangles (un duo sensuel à souhait), au mât chinois (dynamique) ou au saut à l’élastique (vertigineux). Ici et là, quelques hésitations (notamment au main à main et à la bascule), heureusement sans conséquence (mais plusieurs sueurs froides).

Une chute dans le filet au trapèze (numéro de groupe par ailleurs d’une précision remarquable) a d’ailleurs été chaudement applaudie par le public, bienveillant. Comment faire autrement ? On devine qu’il est difficile de s’entraîner sur tous ces appareils en confinement. Et cela fait quelques semaines à peine que les artistes ont repris leurs répétitions. Leur forme, leur énergie et leur précision, dans le contexte, n’en paraissent que plus prodigieuses encore.

  • PHOTO DENISE TRUSCELLO, GETTY IMAGES POUR LE CIRQUE DU SOLEIL

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« Ils ont réussi (they made it !), c’est un grand moment, à la fois pour le Cirque et pour le divertissement en général à Las Vegas. Et je dirais que c’est assez remarquable. J’étais nerveux ! », a lancé, en marge du spectacle, John Katsilometes, chroniqueur culturel vedette du Las Vegas Review-Journal, assis par hasard à nos côtés, et qui ne compte plus le nombre de représentations de Mystère auxquelles il a assisté (« au moins 30 ! »). « C’est incroyable, ce qu’ils font ! Oui, il y a eu quelques déséquilibres, mais cela prend beaucoup de courage pour faire du cirque, point. Et revenir avec un spectacle de ce calibre et de ce niveau de précision fait franchement battre mon cœur. C’est incroyable, ce qu’ils ont réussi à faire ! »

Comme dans le temps

Soyons francs, personne n’était sur son trente et un pour le retour d’un spectacle pourtant mythique, créé par le duo Franco Dragone et Gilles Ste-Croix, lequel a lancé le Cirque du Soleil sur la Strip, il y a tout près de 28 ans déjà. En fait, cela avait tout l’air d’une soirée ordinaire, comme dans le temps. Dans un passé pas si lointain, ou un avenir qu’on se souhaite encore moins lointain, en fait. Pensez : foule agglutinée aux portes du théâtre, sourires impatients et bonne humeur généralisée. Avec un soupçon d’énervement. Pensez surtout : ambiance décontractée, sans masques (ou presque) ni la moindre distanciation.

Rappelons que d’après les dernières recommandations des CDC (Centres de contrôle et de prévention des maladies), les personnes adéquatement vaccinées (46 % de la population américaine) peuvent désormais reprendre toutes leurs activités, sans restriction, à quelques exceptions près (dans les transports en commun, notamment). Et à Las Vegas, cette règle est suivie à la lettre : la pandémie semble carrément chose du passé. Adieu, bulles et désinfectant (et variants !), bonjour, les poignées de main. C’en est déconcertant de normalité.

D’ailleurs, personne ne vérifiera si l’on est effectivement « adéquatement » vacciné avant d’entrer. Mais s’il faut croire toutes les personnes interrogées, c’est à se demander où sont les 54 % qui ne le sont pas.

La salle avec ses 1616 bancs est donc comble. Ici une dame fête son anniversaire, là un jeune couple vient de se marier. Plus loin, une petite famille vient voir son tout premier spectacle depuis le début de la pandémie, comme la grande majorité des spectateurs interrogés. Beaucoup connaissent déjà bien le Cirque du Soleil. Et s’en sont ennuyés.

Une famille, pourtant vaccinée mais masquée, a d’ailleurs osé une note de discordance pandémique, en sortant du spectacle : « Nous avons mis deux masques aux enfants, parce qu’ils ne sont pas vaccinés, et portons nous-mêmes un masque, même si nous le sommes », ont indiqué Ali Diaz et Ronnie Wrest, de Californie, de passage à Las Vegas avec leurs filles. Pourquoi donc ? Par respect pour les artistes (quelques-uns aussi masqués, faut-il le souligner), tout simplement. « Parce qu’on est reconnaissants : ils ont fait tout ça pour nous. Ç’a été une année difficile, c’est très émotif, c’est vraiment spécial et ils se mettent à risque pour nous. Vous savez, ce théâtre est tout petit. Et personne ne porte de masque. Alors que ce serait tellement plus respectueux pour les artistes… » Quant au spectacle ? Pas la moindre discordance ici : « Incroyable ! »