Yannick Nézet-Séguin s’est sérieusement remis au piano pendant la pandémie. Au point qu’il sera à la fois le chef de l’Orchestre Métropolitain (OM) et son propre soliste invité lors d’un concert qui sera présenté dimanche, un vieux rêve qu’il a enfin pu réaliser.

Depuis un an, le piano a surtout été pour le chef un moyen de rester en contact avec la musique, alors qu’il était submergé de travail administratif et de réunions sans avoir la « compensation » de faire de la musique avec l’OM.

« J’avais ce besoin presque physique d’aller jouer des notes », nous confie un Yannick Nézet-Séguin enjoué, mais toujours un peu serré dans le temps, joint au téléphone jeudi entre deux répétitions à la Maison symphonique.

Celui qui a suivi une formation de pianiste au Conservatoire de musique de Montréal caressait depuis longtemps l’idée de retourner à son instrument, mais « les horaires, les avions, la pression » le détournaient toujours de son objectif. Cette fois, il n’a pas laissé passer sa chance et a décidé de profiter de sa « forme retrouvée », après avoir offert quelques concerts l’été dernier, pour enfin réaliser son rêve de jouer avec l’OM.

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Yannick Nézet-Séguin en répétition avec l’Orchestre Métropolitain à la Maison symphonique

J’essaie de montrer une autre facette de ma personnalité. En toute humilité : je ne prétends pas me mesurer à des concertistes ni leur enlever la place. Mais j’imagine qu’un chef qui s’assoit au piano, avec des musiciens qu’il connaît bien, peut donner un éclairage différent sur une œuvre en dirigeant quelque chose de plus collaborateur.

Yannick Nézet-Séguin

La mort en août de son ancienne professeure, Anisia Campos, qui lui a enseigné de l’âge de 13 à 22 ans et qui croyait beaucoup en son talent de pianiste, a aussi été un signe pour lui. « C’est elle qui m’a tout montré, laisse-t-il tomber. J’avais déjà repris mes cahiers quand j’ai appris sa mort, et j’ai senti qu’il fallait que je continue à faire honneur à sa mémoire en me remettant au piano. »

Dimanche, Yannick Nézet-Séguin jouera d’ailleurs une pièce de Mozart qu’il aime particulièrement, le Concerto pour piano no 12 – « Un bijou qui n’est pas joué souvent, on dirait que tout Mozart est dedans » –, et qu’il avait commencé à apprendre au début de l’adolescence. C’est pour lui une manière de se reconnecter à son passé, de « remettre les pendules à l’heure » sur ce qu’il désire devenir comme musicien.

Préparation

Pendant le concert, Yannick Nézet-Séguin explique qu’il dirigera le concerto de manière un peu « chambriste », de la façon collaborative qu’il a toujours aimée. « C’est comme un quatuor à cordes avec juste un peu plus de collègues ! Mozart est fait un peu pour ça, ce sont des pièces écrites sans l’idée qu’il y aurait quelqu’un sur un podium en train de manier le bâton. Le chef est venu quelques décennies après », précise-t-il en ajoutant qu’il ne pourrait pas, par exemple, faire le même exercice avec un concerto de Rachmaninov ou de Brahms.

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Yannick Nézet-Séguin en répétition avec l’Orchestre Métropolitain à la Maison symphonique

N’empêche que cette double tâche demeure une gymnastique de haut niveau difficile à concevoir pour le commun des mortels. « Le cerveau apprend à être un peu partout à la fois », croit le chef, qui explique que le secret réside dans une préparation rigoureuse, question de « se sentir libre rendu là ».

On ne peut pas brûler les étapes. J’ai étudié toutes les parties de l’orchestre comme si j’allais seulement diriger, et j’ai pratiqué l’instrument comme si j’allais être seulement soliste.

Yannick Nézet-Séguin

Bien sûr, avoir les deux mains sur son piano diminue la mobilité du chef. Tout se jouera alors dans les regards, les signes de tête, l’écoute mutuelle, la confiance. « Au fond, quand on schématise le rôle d’un chef, on peut même dire qu’un orchestre qui se connaît bien peut s’en passer. »

C’est le cas de l’OM, qui se retrouve soudé plus que jamais après un an de pandémie, constate-t-il. « J’ai moins voyagé et ça nous a donné le bénéfice de faire le travail de fond ensemble. J’ai l’impression que nous nous sommes rapprochés encore plus dans ces épreuves qu’on a vécues. »

L’OM a rejoué devant public pour la première fois il y a deux semaines et se produire devant une salle aux trois quarts vide à cause des mesures sanitaires – « Rien n’est parfait ! » – n’a pas changé grand-chose au bonheur de ressentir l’énergie et la chaleur des spectateurs, aussi peu nombreux soient-ils.

« On est fait pour ça, pour échanger, pour communiquer ! Ce n’est pas juste les applaudissements : le silence, l’écoute qui est palpable, c’est tout aussi important. Sinon, que ce soit pour 20, 250, 2500 ou 25 000 personnes, l’important est de donner le meilleur de soi à tout moment. »

Circulation d’idées

Yannick Nézet-Séguin ne sait pas si son retour au piano fait de lui un meilleur chef. Mais il aime bien l’idée de se « mettre dans la peau » de ses musiciens. « Et mettre en pratique ce que je leur demande tout le temps ! », dit-il en riant.

« Ce qui est beau dans ce métier, c’est qu’on n’a jamais fini de s’améliorer, et qu’il y a toutes sortes de façons de le faire. Revenir au piano et faire confiance encore plus aux musiciens, c’est une grande leçon et j’espère que ça va transparaître quand je vais me remettre sur le podium avec une baguette. De la même manière qu’après avoir dirigé une foule d’opéras de Mozart, ça infuse ma manière de jouer le Concerto no12. C’est une belle circulation d’idées. »

Du piano au podium : Mozart et Brahms avec Yannick Nézet-Séguin. Le 11 avril à la Maison symphonique à 13 h et 16 h. En webdiffusion du 30 avril au 9 mai.

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