De l’Abitibi à Charlevoix en passant par les Laurentides et la région montréalaise, les petits festivals culturels de partout au Québec se sont retroussé les manches pour offrir au public des événements alternatifs malgré l’épidémie de COVID-19, tout en respectant les mesures sanitaires. Près de 50 d’entre eux lancent ce mercredi matin le regroupement REFRAIN, histoire de donner une voix commune à toute cette effervescence.

« Il y a ceux qui auront regardé passer la parade, et ceux qui auront décidé de l’animer. » Le directeur du Festival en chanson de Petite-Vallée, en Gaspésie, Alan Côté, n’est pas du genre à se laisser arrêter par une pandémie mondiale.

Le vénérable festival, qui normalement aurait dû se terminer samedi, a entre autres présenté des spectacles simultanés dans plusieurs lieux le jour de la fête nationale. Et il lancera la semaine prochaine une programmation estivale de 20 spectacles au théâtre de la Vieille Forge – le chapiteau temporaire en attendant la reconstruction de celui qui a brûlé il y a trois ans – avec un concert intime d’Émile Bilodeau devant public restreint.

« S’il fait beau, on va présenter les spectacles dehors, à côté du théâtre sur le bord du fleuve, au coucher du soleil, en formule cabaret avec tables distanciées. » Bref, comme la plupart des programmateurs de festival partout au Québec, Alan Côté reste très prudent, mais il n’a pas baissé les bras. « Non, ce n’est pas notre genre. J’ai les bras morts, mais je ne les ai pas baissés ! »

Pour Alan Côté, il était important de continuer à être présent pour plusieurs raisons.

D’abord, c’est notre mission. Puis, pour les artistes, on fait notre part, ils ne l’ont pas eu facile non plus. On est chanceux aussi comme organismes d’avoir conservé nos subventions et nos partenariats majeurs. Ce n’est pas rien. Et on est des bons citoyens aussi ! Il fallait redonner de la vie.

Alan Côté, directeur du Festival en chanson de Petite-Vallée

Chez ses collègues du REFRAIN, Alan Côté a retrouvé ce même désir d’action et un esprit hyper positif qui a été une source d’émulation entre eux. « Ça a créé une synergie et je suis vraiment content d’en faire partie. Ça nous a donné des ailes. »

Nouvelle étape

Né de manière spontanée et informelle au début de la pandémie, par besoin d’échanger et de faire partager les expériences, le REFRAIN devient officiel ce mercredi matin. C’est Patrick Kearney, du festival Santa Teresa, qui en est l’instigateur et le porte-parole. « Au début, c’était plus une thérapie, mais là, on est passés à une autre étape. »

Les festivals membres du REFRAIN ne sont pas en compétition avec ceux du Regroupement des événements majeurs et internationaux (REMI), précise Patrick Kearney, mais il rejoint davantage leurs besoins et est plus homogène.

C’est une voix commune qui est bien reçue, et qui va déboucher sur des projets concrets, un site web, des parcours culturels. On se demande même pourquoi ça n’existait pas déjà.

Patrick Kearney, du festival Santa Teresa

Ce qu’il a vu depuis quatre mois, ce sont des organisateurs d’événements qui arrivaient avec plein d’idées toutes plus originales les unes que les autres pour contrer les effets de la pandémie. « Ça nous a crinqué toute la gang ! On n’est pas restés là à ne rien faire, on n’a pas attendu, mais on a toujours fait avec les mesures gouvernementales. Au début, au Festif ! de Baie-Saint-Paul, ils faisaient carrément des spectacles en porte à porte ! »

Cette agilité est le propre des petits festivals, croit-il, qui sont plus près des communautés où ils sont implantés. « On est moulés aux lieux qu’on occupe. C’est ce qui fait la différence. Osheaga, tu peux le présenter n’importe où, ça reste Osheaga. »

Le festival Santa Teresa, qui se déroule habituellement dans le cœur de Sainte-Thérèse à la mi-mai, a été un des premiers annulés au début de la pandémie. Mais Patrick Kearney a vite réfléchi à ce qu’il pouvait faire pour garder une présence cette année.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le festival Santa Teresa, qui se déroule habituellement dans le cœur de Sainte-Thérèse à la mi-mai, a été un des premiers annulés au début de la pandémie.

« Nous allons présenter une édition numérique à l’automne, de quatre soirs, en septembre ou en octobre. Ce seront des prestations d’artistes québécois qu’on aura enregistrées cet été, mais ce sera comme de grandes soirées animées en direct avec plusieurs perfos, des entrevues… Nous aimerions aussi faire un spectacle, un soir, à l’église. »

S’il ne voulait pas prendre le risque d’organiser un festival devant public – et de peut-être devoir l’annuler de nouveau –, d’autres le font. Le jeune festival SuperFolk de Morin-Heights, qui a lieu la dernière fin de semaine d’août, présentera des spectacles dans des salles, devant 50 spectateurs et avec haut-parleurs installés partout dans le village, et diffusion sur le web en plus.

« Je me suis demandé si je pouvais faire quelque chose pour ma communauté, et la réponse a été oui », dit le fondateur du festival, l’auteur-compositeur-interprète Ian Kelly.

C’est sûr que dans un festival, on peut faire de belles découvertes musicales, mais un spectacle, c’est aussi un moyen d’être ensemble, d’échanger, de sentir une présence. Pour moi, le numérique ne peut pas remplacer ça.

Ian Kelly, fondateur du festival SuperFolk

Ian Kelly s’est donc retroussé les manches rapidement – « et elles sont encore bien relevées ! » –, et même s’il travaille dans une certaine incertitude, il a décidé d’aller quand même de l’avant.

« La santé et la sécurité des gens, c’est ma priorité. Mais leur santé mentale aussi, c’est pour ça que je tenais à faire quelque chose. »

Carré de sable

Le Festival de musique émergente d’Abitibi-Témiscamingue (FME), qui fête ses 18 ans cette année, a de son côté déjà présenté un spectacle intime des Dear Criminals la semaine dernière, et se déroulera comme prévu le week-end de la fête du Travail. Des spectacles y seront présentés devant un public restreint.

« On travaille avec un plan A, un plan B, un plan C… Notre plan A est avec des spectateurs, mais c’est la Santé publique qui décide », dit Magali Monderie-Larouche, qui explique que la programmation est évidemment remaniée en fonction de ces contraintes. « Tu ne présentes pas la même chose en cabaret à 50 personnes que sur la 7e Rue devant 5000. »

Elle aussi est impressionnée par le nombre d’initiatives prises par ses collègues membres du REFRAIN, mais pas surprise. « En tant qu’organisateurs d’événements, on ne peut pas s’en empêcher ! »

Il y a de nouvelles règles, on les assimile un peu, puis on voit comment on peut jouer dans ce nouveau carré de sable.

Magali Monderie-Larouche, du festival de musique émergente d’Abitibi-Témiscamingue

Magali Monderie-Larouche croit que même à petites doses, le FME peut remplir sa mission de faire connaître de nouvelles musiques dans des conditions professionnelles. « Je pense que les gens, et les artistes, en ont besoin. »

Alors 2020, une année à oublier ? « Je pense qu’on va être fiers de ce qu’on aura accompli, même si on arrive à des résultats différents. Et ça va avoir demandé le même travail, sinon deux fois plus ! », dit Magali Monderie-Larouche.

Patrick Kearney, lui, avoue avoir perdu le sommeil pendant quelques jours. « Mais quand REFRAIN a été parti, ça m’a donné un méchant boost. Ça a motivé tout le monde, parce qu’on se sentait tous moins seuls. »

Il comprend qu’avec la situation dans les bars, le gouvernement ait mis un frein quant à l’annonce imminente de l’allègement de 50 à 250 personnes par salle, ce qui donnerait aux événements une plus grande marge de manœuvre.

« Mais je pense qu’on peut être une solution et que ça enlèverait de la pression, dit Patrick Kearny. C’est plus facile de réunir 250 personnes assises et distanciées devant un spectacle que de demander au monde de ne pas bouger dans un bar. On pourrait être une solution pour que les gens passent un bel été, et un bon médicament pour leur santé mentale. Que le gouvernement nous fasse confiance, on ne les décevra pas. »