À l’invitation de Danse Danse, Virginie Brunelle investit pour la première fois, avec sa compagnie homonyme, le grand plateau du Théâtre Maisonneuve avec Les corps avalés, création pour sept danseurs portés par la musique en direct du Quatuor Molinari. Entrevue avec une chorégraphe qui tire matière à danser de ses observations du genre humain.

La dernière fois qu’on a vu une de vos créations à Montréal, c’était Beating, une pièce pour huit danseurs et une commande pour la compagnie allemande Gauthier Dance, fondée par le Québécois Éric Gauthier. Que tirez-vous de cette expérience ?

J’ai appris plusieurs choses, notamment que je ne peux pas travailler de la même façon que je le fais avec ma gang. Ce sont des délais beaucoup plus courts, il faut arriver préparé, tu ne peux pas changer d’idée 20 fois… ce que j’ai quand même fait ! [rires] C’était quand même un défi de faire entrer des danseurs de ballet dans mon univers, avec son côté plus relâché, sale, brut.

Comment cette expérience sur un grand plateau vous a-t-elle préparée à cette nouvelle création de groupe, qu’on dit votre plus ambitieuse à ce jour ?

C’est sûr que c’est vraiment différent de créer pour une grande scène que pour un espace plus intimiste, où l’émotion est dans ta face. J’ai vraiment travaillé différemment pour cette pièce, en me concentrant beaucoup plus sur l’architecture des chorégraphies, le rythme, et les tableaux de groupe aussi, ce que j’ai vraiment moins fait dans mes anciennes pièces.

  • Répétition du spectacle Les corps avalés de Virginie Brunelle

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Répétition du spectacle Les corps avalés de Virginie Brunelle

  • La chorégraphe Virginie Brunelle dirige trois des interprètes de sa création pour sept danseurs

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    La chorégraphe Virginie Brunelle dirige trois des interprètes de sa création pour sept danseurs

  • Les interprètes Bradley Eng et Claudine Hébert en répétitions

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    Les interprètes Bradley Eng et Claudine Hébert en répétitions

  • Le danseur Bradley Eng projette l’interprète Sophie Breton en l’air pendant les répétitions de la pièce Les corps avalés.

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    Le danseur Bradley Eng projette l’interprète Sophie Breton en l’air pendant les répétitions de la pièce Les corps avalés.

  • Les danseurs Milan Panet-Gigon et Sophie Breton

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    Les danseurs Milan Panet-Gigon et Sophie Breton

  • De gauche à droite, les interprètes Chi Long, Isabelle Arcand et Peter Trosztmer. À l’arrière-plan, le Quatuor Molinari.

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    De gauche à droite, les interprètes Chi Long, Isabelle Arcand et Peter Trosztmer. À l’arrière-plan, le Quatuor Molinari.

  • À l’avant-plan, Chi Long et Peter Trosztmer.

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    À l’avant-plan, Chi Long et Peter Trosztmer.

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J’ai aussi travaillé avec plusieurs collaborateurs, dont Marilène Bastien pour la scénographie. Nous avons beaucoup réfléchi autour de l’idée de nature, qui revenait beaucoup dans nos échanges. On a finalement choisi d’utiliser notamment des bandes de gazon synthétique, une matière qui se meut, se transforme et s’utilise de différentes façons.

Votre compagnie a célébré ses 10 ans l’an dernier. Au fil du temps, vous vous êtes surtout fait remarquer pour vos pièces qui auscultaient les relations de couple, le sentiment amoureux et le désir comme Foutrement ou Complexe des genres… Abordez-vous toujours ces thématiques dans Les corps avalés ?

Je dirais que je ratisse plus large. C’est plutôt une observation de nous, individus, dans une société. Je représente donc davantage une microsociété sur scène, au-delà des rapports à deux, intimes. C’est comme si, à chaque création, je prenais un pas de recul, mais ce sont les mêmes rapports qui sont à l’œuvre, finalement.

De quoi est-il question dans Les corps avalés ?

C’est une fresque de la société actuelle. Au départ, je pensais m’intéresser davantage aux rapports de force, mais finalement, je crois que ce qui ressort surtout, c’est le désarroi des êtres, mais aussi les élans qui nous poussent à nous engager, dans une société où les gens sont parfois confrontés à des valeurs qui ne sont pas en accord avec les leurs. On est plutôt dans des métaphores de cet ordre-là, avec le plateau qui prend parfois des airs de champ de bataille.

Dans cet avalement, est-ce que les êtres de votre pièce sont complètement aliénés ? Ou reste-t-il (un peu) d’espoir ?

Ce ne sont pas des automates, mais plutôt des êtres en rébellion, portés par un désir de s’élever, de communion, de rencontrer l’autre, mais qui sont happés par cette ère qui nous fragilise, notamment lorsqu’on pense aux questions environnementales et aux inquiétudes qu’elles suscitent. La pièce n’est pas un statement politique, mais ce sont des observations par rapport aux choix politiques qui sont faits et qu’on subit, par lesquels on est avalés. En contrepoint, j’offre des moments plus intimes, où il y a de la tendresse, car je crois que c’est ce qui nous rattache à la vie, ces moments d’espoir.

Pour la première fois, vous intégrez de la musique en direct avec l’apport du quatuor à cordes Molinari, vous qui êtes arrivée à la danse par la musique classique…

J’ai fait du violon durant 10 ans et je vois vraiment ce que cela m’a apporté aujourd’hui, cette musicalité acquise au fil des ans, comment la musique classique vient dessiner le corps des danseurs… C’est merveilleux de travailler avec de la musique en direct et je ne vois pas comment je pourrais revenir en arrière. Le Quatuor Molinari est assez intime comme ensemble, mais nous les amplifions avec des micros. Par moments, on insère des effets live à travers les micros, qui viennent créer une distorsion, des échos, des réverbérations, ce qui donne une dramatique supplémentaire. On a aussi des extraits de musique enregistrée par-dessus lesquels l’ensemble joue. On se promène donc entre des effets plus orchestraux et intimes.

La gestuelle que vous avez développée au cours des années emprunte souvent au répertoire classique pour mieux le salir, le détourner de diverses façons, le tout dans une gestuelle généralement très physique. Continuez-vous dans cette voie ?

Je dois dire que le ballet, je ne le vois plus trop ! On est vraiment dans un univers contemporain, une gestuelle très brute, des corps qui se heurtent. C’est extrêmement physique comme pièce, il y a de longs tableaux de groupe qui n’arrêtent pas. [Les interprètes] sont à la limite de l’instinct de survie, en combat continuel. C’est beau de voir cette dépense physique, car ça les rend complètement vulnérables, réels et authentiques. Je trouve que cela vient bien représenter cet essoufflement, ces corps avalés par ce tourbillon de valeurs qui nous représentent moins, mais où on est un peu pris, malgré nous.

Du 26 au 29 février au Théâtre Maisonneuve

Consultez le site de Danse Danse

RECTIFICATIF
Dans une version antérieure de cet article, l’interprète Peter Trosztmer était identifié dans un bas de vignette comme étant Milan Panet-Gigon. Par ailleurs, le nom de la scénographe du spectacle est Marilène Bastien et non Marie-Josée Bastien. Nos excuses.