C’est en quelque sorte son chant du cygne, son legs : la pionnière de la danse intégrée au Québec, France Geoffroy, propose avec son projet Quadriptyque d’élargir les perceptions liées aux corps dansants et à la danse contemporaine elle-même en rassemblant sur scène des « debouts » et des « handicapés ».

France Geoffroy est cofondatrice de Corpuscule Danse, une compagnie vouée à la diffusion d’œuvres en danse intégrée (et contemporaine !), mais aussi à la formation, qui existe depuis 2000. Devenue tétraplégique après un accident de plongeon quatre jours avant de commencer sa formation en danse, celle qui n’a jamais accepté de laisser aller son rêve a trouvé dans la danse intégrée un moyen d’expression, puis une communauté.

Ne trouvant à l’époque rien au Québec pour garder son rêve vivant, elle s’est envolée vers l’Angleterre – un des endroits, avec la Californie, qui se trouvent à l’avant-garde de la danse intégrée, une discipline apparue dans les années 80. Depuis le début de sa carrière, elle a dansé notamment pour Hélène Langevin et Estelle Clareton, comptant neuf productions à sa feuille de route.

« Aujourd’hui, je suis une danseuse mature, j’ai 45 ans. Je suis dans des questionnements d’arrêter de danser. Je me suis demandé ce que je pourrais faire, à la fois pour laisser une trace dans mon histoire et dans celle de la danse au Québec, mais aussi pour multiplier les pistes de réflexion », confie-t-elle.

Le résultat de cette démarche, entamée en 2016, prend la forme de Quadriptyque, un projet « tentaculaire » qui comprend un programme triple présenté à l’Agora de la danse dès ce soir. Suivra un quatrième volet, conçu par la chorégraphe Sarah-Ève Grant – il sera d’abord présenté à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal, le 16 mai, et accompagné d’une exposition-rétrospective intitulée Itaï Dôshin [un même cœur dans des corps différents], cosignée par Marzia Pellissier et Marie-Hélène Bellavance. Le processus créatif est entièrement documenté sur la plateforme web Quadriptyque, créée pour l’occasion.

« Un corps handicapé n’est pas un corps profane, c’est un corps qui porte une histoire, un corps authentique rempli de possibilités expressives et dont on peut utiliser les contraintes comme un tremplin créatif. L’idée était d’ouvrir quatre processus créatifs et de réfléchir avec les chorégraphes. De montrer ce qui, normalement, se passe en vase clos. Là, tout est ouvert », détaille l’interprète.

Au-delà des catégories

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

France Geoffroy n’a jamais accepté d’abandonner son rêve de danser et a trouvé dans la danse intégrée un moyen d’expression, puis une communauté.

Différente de la danse thérapie ou adaptée, la danse intégrée se définit par l’inclusion de tous les corps dansants, et non par leur catégorisation. « Moi, je suis une accidentée. Le plus gros choc que j’ai eu, ç’a été de constater qu’il y avait des activités pour les handicapés seulement. Pour moi, c’est rétrograde, d’une autre époque. »

« On est à l’ère de l’inclusion, chacun revendique le droit d’exister, à sa façon. Mais le tabou du handicap au Québec, il est énorme. »

À l’Agora de la danse, Mme Geoffroy a donc demandé à des chorégraphes qui n’ont pas l’habitude de travailler avec des corps atypiques de se lancer, en quelque sorte, dans le vide. Sur scène, huit interprètes, handicapés ou non, apparaîtront dans les œuvres de Benoît Lachambre, Lucie Grégoire et Deborah Dunn.

Cette dernière s’est inspirée du film Casablanca pour sa pièce, dont La Presse a assisté à une répétition. Dans sa recherche, la chorégraphe dit avoir voulu « esthétiser le corps handicapé, exploiter sa beauté », écrit-elle sur la plateforme web de Quadriptyque.

Lucie Grégoire, elle, a exploré les possibilités du mouvement avec l’interprète et artiste multidisciplinaire Marie-Hélène Bellavance, amputée des deux pieds et collaboratrice de longue date de Mme Geoffroy.

Quant à Benoît Lachambre, il investit la scène avec Mme Geoffroy. « J’ai quand même beaucoup dansé dans un contexte de danse intégrée. Mais Benoît m’amène complètement ailleurs… Je n’en reviens pas de ce qui sort de moi-même. C’est ça qui est merveilleux avec la création : il n’y a pas de limitation. Même après 25 ans et en étant tétraplégique… C’est pourquoi je veux donner la possibilité à d’autres artistes en situation de handicap d’avoir cette vitrine, de s’exprimer. »

Quadriptyque I-II-III, à l’Agora de la danse (Édifice Wilder), du 8 au 11 mai.

L’exposition Itai dôshin [un même cœur dans des corps différents] est présentée à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal jusqu’au 2 juin. La pièce À mes yeux, c’est similaire de Sarah-Ève Grant sera présentée au même endroit les 16 et 23 mai.