Il y avait bien sûr un air de déjà vu (et de déjà entendu) hier soir dans le Vieux-Port de Montréal, avec ce retour programmé d’Alegría, pièce emblématique du Cirque du Soleil, créée ici même il y a 25 ans et retirée de la flotte du Cirque il y a à peine cinq ans.

Il ne faut pas l’oublier, le spectacle de Franco Dragone, créé en 1994, a propulsé le Cirque sur la scène internationale. Pour reprendre les mots de Gilles Ste-Croix, « c’était un bon cru ». Pas étonnant qu’il ait tourné pendant deux décennies. Il y a aussi la musique composée par René Dupéré (et ses paroles en langue inventée) – Vai Vedrai, Kalandéro et la chanson-thème Alegría –, réunie dans un album qui est, à ce jour, le plus vendu du Cirque.

Tout ça pour dire que la décision de ressusciter Alegría, déjà vu par 14 millions de spectateurs, comportait probablement peu de risques, le Cirque misant sur l’énorme capital de sympathie dont jouit cette production.

L’équipe de créateurs menée par le metteur en scène Jean-Guy Legault – qui a monté les spectacles de la série hommage du Cirque à Trois-Rivières – a tout de même fait ses devoirs. Bien que le squelette acrobatique du spectacle d’origine ait été conservé, l’ensemble a été revu, actualisé, de nouveaux numéros ont été ajoutés, bref, malgré la familiarité de l’objet, on a quand même une impression de nouveauté.

Sur le plan acrobatique, le Cirque fait ce qu’il sait faire de mieux : il nous en met plein la vue. Du numéro d’ouverture de banquine et d’acro pôles (captivant) au duo de sangles aériennes (grisant), en passant par le numéro de roue croisée de son créateur et interprète Jonathan Morin (original) et celui du fameux power track, ces trampolines en croix, où l’on assiste à un ballet acrobatique fabuleux, le Cirque frappe fort.

La première partie du spectacle se conclut d’ailleurs en apothéose par un numéro de danse de feu incroyable, mené par un artiste éblouissant (Lisiate Tovo), qui prend un plaisir évident (et contagieux) à jongler avec ses bâtons enflammés. Entraîné par un all girls band.

Pour le scénario, c’est moins concluant. Il était question à l’origine d’une lutte entre les Bronx – cette jeune génération vigoureuse – et les Vieux Oiseaux nostalgiques – vieille garde qui s’accroche. Excellent point de départ, par ailleurs. Mais cette rivalité nous paraît peu exploitée dans la nouvelle mouture. On retrouve les costumes des deux camps et le cadre du palais gothique avec son trône doré, mais pour le concept du « nouvel ordre », il faut être imaginatif…

Il y a bien les deux chanteuses (l’une en blanc, l’autre en noir), qui incarnent l’ombre et la lumière, mais c’est comme si on avait voulu sagement se concentrer sur le cirque, ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose, direz-vous.

D’ailleurs, la deuxième partie – où l’on retrouve plusieurs des numéros d’origine, dont les savantes contorsions au hula-hoop d’Elena Lev (qui avait 12 ans en 1994 !) – se conclut par un numéro aérien grandiose.

Créé à l’origine par Andrei Lev (le père d’Elena), le numéro de barres aériennes est exécuté au moyen d’un dispositif aérien qui rappelle les barres parallèles de gymnastique, sauf que les acrobates s’élancent à 10 m au-dessus du sol et sont attrapés au vol par des porteurs accrochés par les jambes à un cadre qui se balance. Un tour de force, interprété par des artistes en état de grâce, qui a fait tout un effet en clôture du spectacle.

Un mot sur les clowns, ces mal-aimés du cirque, qui parviennent toujours (malgré nous) à nous arracher des sourires. Ils sont menés ici par deux Espagnols charismatiques (prénommés Pablo) qui racontent leur amitié en dents de scie avec beaucoup d’humour. Par contre, la présence de M. Fleur, ce fou du roi qui est un peu le guide d’Alegría, est encombrante et ses intentions, pas très claires. Même lui semble se demander ce qu’il fait là…

Il y a assurément de petits ajustements à faire pour relier tous les points, mais on est quand même devant l’une des productions les mieux rodées et les plus acrobatiques du Cirque.

Sous le Grand Chapiteau du Vieux-Port de Montréal, jusqu’au 21 juillet