Comment danser et disparaître en même temps? Manuel Roque pose la question avec sa nouvelle création, bang bang. Sa réponse tient dans une oeuvre dépouillée et d'une grande sobriété, où les contours de l'identité s'effacent sous les coups de la répétition.

Il nous avait averti: le lyrisme et l'onirisme qui tissaient son dernier solo, Data, laissent place dans bang bang à une grande sobriété, autant gestuelle que scénographique. Et Manuel Roque n'avait pas exagéré son propos.

Il y a effectivement dans bang bang un dépouillement presque abrasif: le plateau vide et dénué de tout apparat, l'éclairage à pleine puissance, sans grande modulation, la musique se résumant quasiment à un beat électronique, pulsation monotone et hypnotique, et la gestuelle très répétitive, peu complexe mais athlétique, dominée par les petits sauts.

Le saut se construit lentement; d'abord pas des flexions de genoux répétées avec intensité un long moment en ouverture de spectacle, assez pour que déjà, le souffle de l'interprète s'accélère et que la sueur perle à son front. Puis, par de petits piétinements qui mènent vers des sautillements sur place. De déplacements latéraux en combinaisons simples de pieds qui se répètent inlassablement en plusieurs variations, le saut, telle une tonalité persistante, emplit de son vibrato le corps de l'interprète et l'espace autour.

Manuel Roque offre ici une oeuvre qui laissera sans doute perplexe plusieurs, mais qui résonnera chez d'autres, et qui s'expérimente avec une certaine distance, dans un état quasi-méditatif. Il n'essaie pas de séduire ou d'amener le spectateur avec lui. Il plonge dans le mouvement sans tenter de lui faire dire autre chose que l'effet réel que ce dernier inscrit dans son corps dans la durée. Il amène son corps dans ses retranchements, oui, mais tout en refusant de jouer la carte de la virtuosité. 

Au fil de la représentation, émerge plutôt dans l'épuisement une sorte de vacuité du geste chorégraphié et représenté, un lâcher-prise, cette impression que les contours l'identité, tanguent, floues, se diffusant dans l'espace. Un sentiment renforcé par un passage vers la fin, où l'interprète tournoie sans fin, disparaissant sporadiquement dans un nuage de fumée blanche.

Et ce n'est qu'en finale, dans la pénombre, que le corps, maintenant calme, peut-être transformé, ébauche quelques esquisses de mouvements ondulants, comme une ouverture vers un autre espace.

Jusqu'au 5 juin, au Théâtre Prospero