Les dernières fois que Daniel Boucher s'est produit à Montréal, il se présentait seul sur scène avec sa guitare acoustique. Le dépouillement total. Son spectacle s'intitulait Chansonnier et ne pouvait être plus loin de La patente, ambitieux album de rock touffu publié en 2004. Hier, pour le premier de trois spectacles au Club Soda, il avait ressorti sa guitare électrique. Une belle guitare rouge qui, dès le premier accord, a dit clairement qu'on n'allait pas se faire bercer.

Boucher n'a pas perdu de temps en présentation ni en apprivoisement: il s'est mis en mode rock dès la première chanson, Le monde est grand. Les deux pieds bien plantés au sol, la main leste sur sa six cordes, il a attaqué avec force et souplesse. Oubliées, ces années pendant lesquelles il n'a pas écrit une ligne. Évanouies, les hésitations.

«Ça faisait longtemps, hein?» a lancé le chanteur, avant d'entamer sa troisième chanson de la soirée.

«Ça fait du bien», lui a répondu un spectateur.

C'était juste. Le rockeur qu'on avait sous les yeux était le Boucher des grands soirs. Le showman capable d'en mettre plein la vue (il est poseur comme mille et n'a pas son pareil pour draguer une foule) et le musicien déterminé à en mettre plein les oreilles. Un chanteur chanceux, aussi, de pouvoir compter sur deux accompagnateurs de qualité: Antoine Gratton à la basse (et un peu au piano) et son vieux complice Sylvain Clavette à la batterie. Tout un power trio.

Trip de son

Après le long intermède que fut Chansonnier, Boucher avait visiblement envie de se payer un trip de son. Durant les 90 premières minutes du spectacle, il n'a sorti sa guitare acoustique qu'une fois, le temps d'interpréter Sentir le vide, une chanson saisissante tirée de son récent album Le soleil est sorti. Il a donc passé l'essentiel de son concert à plaquer des accords saturés, modulés avec son wah wah ou colorés d'autres effets. Il a un peu abusé, étirant parfois inutilement ses chansons. Mais le plus souvent, il n'a fait que durer le plaisir et à tenir sa salle en état d'excitation.

Sauf qu'il a aussi osé un coït interrompu. Il a stoppé net Tel quel à vie, l'une des plus belles chansons de son dernier disque, pour présenter sa gang. Mauvaise idée. Il peut bien couper un morceau pour nommer ses précieux collaborateurs, mais pas celle-là. Elle est trop précieuse, justement. Trop belle. Trop émouvante pour qu'on lui donne la permission de la tronquer de la sorte.

Sinon, cette solide prestation a rappelé combien ce rockeur au ton singulier a manqué à la chanson d'ici ces dernières années. Combien il peut être rassembleur. Combien il est nécessaire. Boucher n'est pas un rénovateur de la musique, il ne regarde pas tant devant que derrière sur ce plan. Sauf que sa langue alambiquée et truffée de mille trouvailles n'est pareille à aucune autre. C'est un important porteur de la chanson québécoise. Une voix forte et singulière. Et l'une des plus charismatiques.

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Daniel Boucher se produit de nouveau demain et samedi au Club Soda.