Dès les premiers instants de la conversation, on a l'impression qu'elle échappe à la gravité. Mais qui donc est cette évanescente Daphné, dont les chansons virevoltent délicatement comme les papillons? Dont on devine que les gestes ténus peuvent engendrer des tempêtes?

Peu à l'aise le cadre de cette interview fixée dans un salon de thé parisien, cette grande et belle dame se prête gentiment à l'exercice, sourire bien accroché malgré une timidité plus qu'apparente.

«J'écris et je chante depuis que je suis toute petite. Mais l'écriture de chansons, c'est venu vers l'âge de 25 ans. Avant, j'avais fait des études de lettres et de théâtre. Puis j'ai travaillé et j'ai voyagé - j'ai résidé notamment à New York, Washington et San Francisco. Je suis née en Auvergne, mais j'ai vécu un peu partout en France car mes parents ne cessaient de déménager. Du coup je déménage moi-même beaucoup, j'adore voyager et je n'ai pas domicile permanent. J'ai un côté nomade.»

En plus de léviter, se dit-on intérieurement, elle ne se pose pas très longtemps ! Et lorsqu'elle parle de création, on dirait qu'elle parle de chamanisme.

«L'écriture et la mélodie sont pour moi des phénomènes mystérieux. J'ai beaucoup de mal à expliquer comment cela se produit en moi. Car c'est l'inconscient qui s'exprime et qui me tombe dessus. On est chevauché par l'inspiration et on chevauche l'inspiration qui tend la main. On la prend ou on ne la prend pas, elle revient ou non. Je ne peux expliquer le processus car c'est toujours différent.

«Parfois un seul jet suffit, parfois c'est très long. Je ne me mets pas à un bureau en me disant tiens, je vais créer une chanson. Ça se peut se produire à un moment où il y a du monde autour de moi. En plein vacarme ou dans un silence complet. Et l'on ne sait jamais si l'inspiration reviendra.»

Jean-Philippe Verdin a signé les principaux arrangements de Carmin, son deuxième album (étiquette V2), usant de riches instrumentations, textures et styles variés.

«J'ai écouté son album Babilonia, je l'ai trouvé magnifique et je l'ai contacté. Camille Rocailleux avait arrangé mon premier (L'émeraude), j'avais aussi été séduite par la musique qu'il avait créée pour le spectacle d'un conteur. Ces disques sont tous les deux très orchestrés, d'ailleurs.»

Bien sûr, il en coûterait beaucoup trop cher pour qu'un orchestre de chambre accompagne Daphné aux Francos de Montréal – ou même en Europe, vu la jeunesse de sa carrière. Elle vient donc avec batterie/percussions, claviers, guitare /basse et violoncelle.

À l'instar de sa voix aérienne et de ses gracieux trémolos, les textes de Daphné inspirent une douce transe. On y remarque des images presque enfantines, des évocations des éléments naturels, un attachement très spécial aux animaux, un romantisme d'une candeur désarmante...

Des exemples? Daphné cherche et trouve.

Les Phénix : «Normalement, il n'y en a qu'un seul. Dans ce cas-ci les Phénix représentent le couple, la rencontre de deux identités, l'idée de surmonter les épreuves ensemble, se régénérer ensemble. Je ne raconterais pas ça comme ça, je préfère le faire en images.»

Musicamor : «Pour moi la musique est amour, les amoureux sont musique, on ne peut chanter sans état d'amour. Ce sont des vases communicants. Au départ, je n'avais pas envie de dire que l'amour et la musique sont liés, ça m'est venu comme ça. Finalement, ça me ressemble.»

Abracadabra (chantée en anglais) : «L'abracadabra est en nous, nous avons tous une capacité à nous transformer. Je n'aime pas l'idée de fatalité, je crois que chaque être humain peut faire évoluer les choses à sa manière.»

Les Yeux comanches : «Cette chanson évoque les Amérindiens et autres peuples en lien intime avec la nature - aborigènes, berbères et autres tziganes, des peuples souvent nomades. Nous, Occidentaux, avons perdu cette liberté d'être près des choses qui nous entourent... sans en être propriétaires.»

Et comment Daphné peut-elle éclore sur scène?

«On ne peut pas être sur scène si on n'aime pas chanter. On s'y met à nu, on montre beaucoup de soi. Même des choses qu'on aimerait cacher. Il faut savoir que des choses vont s'échapper et que ça fait partie du jeu. Même en tant que spectatrice, j'aime bien voir ce qui s'échappe d'un artiste sur scène. C'est entre les lignes que tout devient intéressant.»

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Daphné se produit ce soir (mardi), 19 h, Place Loto-Québec. Demain au Cabaret Juste pour rire, 22 h, elle partage un programme double avec Sylvie Paquette.