Tout le mois de juillet, la ville d'Avignon en Provence accueille des créateurs et des spectateurs de théâtre venus de tous les coins de l'Europe.

Dans le flot de Français, de Belges, d'Allemands, de Hongrois, de Marocains et de Tunisiens, quelques Québécois jouent du coude, question de goûter à la frénésie du plus grand festival de théâtre au monde. Wajdi Mouawad est de ceux-là, et il y est accueilli à bras ouverts, tel le fils prodigue du tableau de Rembrandt qui a inspiré sa dernière création.

Né au Liban, exilé en France, établi à Montréal, puis à Ottawa, Wajdi Mouawad se dit «grec par sa passion pour Achille et Antigone, juif par son admiration pour Kafka et chrétien par Giotto et Shakespeare». Il a fondé la première compagnie canado-française, Abé carré cé carré (nom au Québec) et Au carré de l'hypothénuse (nom en France). Dans ses pièces, il convoque l'histoire, le mythe, la légende, flirte tour à tour avec l'épopée et le conte et s'amuse à mélanger les éléments visuels pour charmer l'oeil du spectateur.

Pas étonnant, donc, qu'un événement de portée internationale se l'approprie. À Avignon, il a présenté Littoral en 1999, Seuls cet été et sera l'artiste associé, l'inspirateur de la programmation en 2009.

Pour l'occasion, Mouawad souhaite présenter une oeuvre en plusieurs volets, inspirée des lieux uniques investis par le Festival, comme la célèbre cour du Palais des papes et la Carrière de Boulbon. Rien à voir avec le gymnase Aubanel où ont lieu, déjà à guichets fermés, les six représentations de son solo.

Après Littoral, Incendies, et surtout Forêts, spectacle titanesque qui regroupait 11 comédiens québécois et européens dans une monstrueuse fresque historique et généalogique, Wajdi Mouawad a éprouvé le besoin de se recentrer sur lui-même. «J'avais été au bout de mon désir de dilater le temps, de rechercher l'affect et de témoigner du brûlant des sentiments.» Seuls, qu'il écrit et joue, lui permet d'affronter physiquement, puisqu'il est seul sur scène, ses obsessions récurrentes: les origines, la mémoire, l'enfance.

L'artiste discute de ses créations comme s'il s'agissait d'amis précieux. Isolé trois semaines dans un studio, Wajdi Mouawad s'est inspiré de sons d'enfance et des anecdotes racontées par sa soeur pour retrouver les sensations oubliées depuis longtemps. Seul. Puis les concepteurs se sont mis au travail, seuls, puisque privés de la présence rassurante d'un metteur en scène omniscient. Devant lui, seuls eux aussi, les spectateurs assisteront au nouvel élan de son oeuvre, étape cruciale qu'il qualifie lui-même de «suicide artistique».

On a dit bien des choses sur Wajdi Mouawad: un fou de théâtre, un poète de la scène, un artiste, dans toutes circonstances, très près de ses sensations: «J'aime bien:je suis un fou, mais je ne suis pas poète... Un poète écrit dans sa langue maternelle, et je ne sais plus parler l'arabe depuis longtemps.» Ce sentiment de perte originelle, de déchirures à colmater, Wajdi Mouawad l'exorcise par le théâtre.

«Ce monde m'ennuie et me violente et je n'ai d'autres moyens d'y résister qu'en créant des choses qui n'existent pas. C'est la seule voie qui me redonne un lien avec l'enchantement.»