Il y a 11 ans qu'on n'a pas vu James Taylor qui n'a pourtant jamais cessé de chanter en public, comme en témoignent ses nombreux DVD. Demain, au Centre Bell, l'artiste américain cherchera encore à faire de son concert une expérience unique en cette époque de musique «passive».

Il y a 11 ans qu'on n'a pas vu James Taylor qui n'a pourtant jamais cessé de chanter en public, comme en témoignent ses nombreux DVD. Demain, au Centre Bell, l'artiste américain cherchera encore à faire de son concert une expérience unique en cette époque de musique «passive».

«Est-ce que c'est monsieur de Repentigny?»

J'attends un appel de James Taylor, c'est sûrement lui au bout du fil, mais j'ai un doute: mon interlocuteur parle trop bien le français et prononce parfaitement mon nom compliqué.

- C'est monsieur Taylor? lui dis-je.

- Oui c'est moi, exactement.

Le même James Taylor qu'on n'a pas revu à Montréal depuis le 3 juillet 1997. Ce soir-là, il avait charmé les 5000 spectateurs venus à sa rencontre au Centre-Molson-devenu-Bell, avec ses chansons immortelles et son sens de l'humour et de l'autodérision, en s'exprimant dans un français étonnant qu'il a appris, enfant, dans une colonie de vacances du Maine.

James Taylor s'amène au Centre Bell demain soir avec son Band of Legends, un groupe de 11 musiciens et chanteurs de premier plan, dont le batteur Steve Gadd, le bassiste Jimmy Johnson, le trompettiste des Blues Brothers, Lou Marini, et le choriste Arnold McCuller qui avait eu droit à la première ovation de la soirée il y a 11 ans, pour son numéro de gospel dans la chanson Shower the People.

Au programme, les grands succès de Taylor, mais aussi une poignée de chansons empruntées à d'autres artistes qui seront sur son prochain album prévu pour l'automne. Taylor n'en est évidemment pas à ses premières reprises - «comment on dit covers en français?» me demande-t-il. Depuis You've Got a Friend que lui avait donnée Carole King, il a fait siennes Handy Man, How Sweet It Is, Up On The Roof, Everyday et autres Walking My Baby Back Home, mais jamais il ne leur avait consacré un album entier.

Pendant deux semaines, il s'est enfermé dans une grange convertie en studio, dans l'ouest du Massachusetts, et, avec ses musiciens de tournée, il a enregistré 19 chansons, à l'ancienne: «On a joué chaque chanson d'un trait, sans faire de retouches, dit-il. De nos jours, le processus d'enregistrement est trop éparpillé, on prend des petits bouts çà et là, et on assemble un album lentement.»

Son problème, m'explique-t-il, c'est qu'il veut n'en conserver que 12 parce que trop de chansons, c'est comme pas assez. Parmi celles qui ont de bonnes chances de survivre à la coupe, il y a Suzanne de Leonard Cohen (avec la participation du violoncelliste Yo-Yo Ma), que Taylor avait l'intention de répéter avec ses musiciens afin qu'elle soit prête à temps pour Montréal. Il faut aussi s'attendre à ce qu'il nous chante On Broadway, Hound Dog et une Wichita Lineman particulièrement émouvante, disent les critiques qui ont vu le spectacle.

La signature J.T.

On reconnaît immédiatement James Taylor au son de sa guitare. «Je suis connu pour la façon dont je relâche une corde - on appelle ça un pull-off - comme au début de Country Road et Fire and Rain, explique-t-il. Un ami m'a déjà dit: quand tu croiseras saint Pierre à la porte du paradis, joue-lui juste ça et il va te laisser entrer (rires). Il ne tiendra pas compte de toutes les autres ordures que tu as faites»

Mais de plus important encore chez Taylor, il y a la voix. Pas pour rien qu'il s'entoure de quatre chanteurs sur scène. «J'ai commencé à chanter à 6 ans, dans ma chambre, et mes parents faisaient jouer des disques de comédies musicales de Broadway, se souvient-il. Je chantais les chansons de My Fair Lady, Oklahoma, South Pacific. Ils faisaient jouer aussi Woody Guthrie, Leadbelly, Pete Seeger et les Weavers. J'avais beaucoup de temps libre à la campagne quand j'étais jeune. Je ne veux pas que ce soit mal interprété, mais j'ai l'impression d'entendre ça chez les chanteurs canadiens que je connais, Neil (Young), Joni (Mitchell) et Leonard Cohen, le Canada est tellement grand et les gens se servent de leur esprit et de leur imagination. Je vois mes enfants grandir aujourd'hui, ils sont bombardés continuellement par toutes sortes de distractions extérieures, ils ont de la difficulté à se concentrer. C'est le lot de la vie moderne et il se pourrait bien que ça ait un effet sur la musique d'aujourd'hui.»

Un peu plus tard, alors que nous discutons de son rapport avec le public et de son talent de conteur, il ajoute: «La musique de nos jours est une activité passive, on branche notre iPod et on fait quelque chose d'autre, on est toujours entouré de musique. Il n'y a pas si longtemps, si tu voulais écouter de la musique, fallait que quelqu'un prenne un instrument et en joue. C'est encore comme ça dans un concert, ça se passe en temps réel.

Mon travail, c'est d'être présent et d'être ouvert à l'expérience qui se passe à ce moment-là, uniquement à ce moment-là.»

Hillary ou Obama?

Premier artiste recruté par les Beatles pour leur compagnie de disques Apple, James Taylor a enregistré son premier album pendant que Lennon, McCartney, Harrison et Starr faisaient des pauses entre les sessions de leur album blanc. Deux ans plus tard, l'album Sweet Baby James l'a consacré superstar. «Je n'ai jamais fait confiance à la célébrité, je savais que ça pourrait se terminer à n'importe quel moment, dit-il. Mais quand tu es un auteur-compositeur-interprète et que tu t'es créé un espace tranquille et très personnel, c'est difficile de devenir un personnage public. Certaines personnes en meurent. Bien sûr, tu veux la reconnaissance, tu veux pouvoir gagner ta vie en faisant de la musique. Sinon, tu peux toujours gagner ta vie autrement et faire de la musique quand même.»

Le grand sec du Massachusetts est devenu ces dernières années le porte-bonheur des équipes sportives de Boston. Il a chanté l'hymne national américain au vieux Fenway Park au cours des Séries mondiales de 2004 et 2007 que les Red Sox ont toutes deux gagnées. Le mois dernier, il l'a encore chanté avant le premier match de la finale de la NBA que les Celtics ont remportée face aux Lakers. Ce soir-là, il a dit à un journaliste qu'il s'interrogeait sur le sens premier du Star Spangled Banner dans le contexte politique actuel des États-Unis.

«À l'époque où cette chanson a été écrite, on se demandait si le drapeau était encore là, m'explique-t-il. Aujourd'hui, le drapeau est partout, mais qu'est-ce qu'il représente vraiment? Est-ce encore le pays des hommes libres et le foyer des braves? Sommes-nous assez braves pour être libres? Aujourd'hui, on a tendance à vouloir sacrifier la liberté à la sécurité. Je pense que c'est Benjamin Franklin qui a dit que celui qui veut troquer la liberté pour la sécurité n'aura ni l'une ni l'autre.»

C'est bien connu, James Taylor est d'allégeance démocrate. Mais il demeure prudent quand il est question du regain d'intérêt pour la politique qui coïncide avec la montée de Barack Obama. Il a été échaudé par l'élection de George W. Bush en 2004, lui qui s'était beaucoup impliqué dans la campagne du démocrate John Kerry.

- Étiez-vous dans le camp de Clinton ou d'Obama?

- J'étais très déchiré. Il y avait plusieurs très bons candidats, pas seulement Hillary Clinton et Barack Obama, mais aussi John Edwards, Christopher Dodd, Dennis Kucinich, et Bill Richardson du Nouveau-Mexique. Au début, je voulais qu'une femme entre à la Maison-Blanche et que les Clinton aient une autre chance. Mais quand j'ai vu ce qu'est le mouvement de Barack, l'effet qu'il fait aux gens, et toutes ces personnes qui s'impliquent dans leur propre démocratie Il faut que les citoyens s'occupent de leur gouvernement. La moitié du pays qui a élu Bush la dernière fois, peut-être qu'elle dort encore Ils mènent le monde et ils votent pour qu'il n'y ait pas de gouvernement, c'est fou! Je pense qu'au Canada vous êtes plus impliqués, mais aux États-Unis, nous avons perdu le contact avec notre propre gouvernement. C'est ce que tout le monde dit et c'est exact, il faut retrouver ce contact.»

James Taylor and his Band of Legends, au Centre Bell, le 6 juillet, 19h30.