La saison du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) se poursuit avec Britannicus de Racine. Une pièce en alexandrins confiée au metteur en scène Florent Siaud, qui a travaillé pendant deux ans sur ce projet ambitieux réunissant sur scène Sylvie Drapeau, Francis Ducharme, Éric Robidoux, Evelyne Rompré, Maxim Gaudette, Marie-France Lambert et Marc Béland.

La directrice artistique du TNM, Lorraine Pintal, l'avait dans son radar depuis quelques années.

Avec sa compagnie Les songes turbulents, Florent Siaud s'est fait remarquer par sa très fine lecture de textes contemporains et par la justesse de ses mises en scène. Que ce soit avec 4.48 Psychose de Sarah Kane (qui a triomphé à Paris), Les enivrés d'Ivan Viripaev ou encore Don Juan revient de la guerre d'Ödön von Horvath, Florent Siaud a fait mouche chaque fois.

En plus, c'est un chic type. Au Prospero, à La Chapelle ou au Théâtre d'Aujourd'hui, où il a monté ses pièces, Florent Siaud accueille les spectateurs dans le hall. «C'est un rituel, une façon de remercier les gens», dit-il.

«C'est quelqu'un qui s'impose par ses connaissances dramaturgiques et sa direction d'acteurs très forte», nous dit Lorraine Pintal, qui souhaitait présenter Britannicus depuis plusieurs années. Seulement voilà, il fallait être prudent, nous dit-elle, «trouver une manière d'en parler au public d'aujourd'hui».

«Florent a une intelligence du texte remarquable, je me suis dit que les vers ne lui feraient pas peur...»

C'est là le défi de jouer Racine en 2019. Qui, aujourd'hui, est capable de s'émouvoir en entendant ces vers écrits il y a 350 ans?

Florent Siaud s'est lui-même posé la question. «C'est sûr que ça exige une certaine concentration, une écoute. Mais après avoir plongé dans la dramaturgie, je me suis dit : il faut faire cette langue aujourd'hui. On est dans une société où parler se limite à livrer des messages, aller à l'essentiel, alors que Racine nous invite à voir dans le langage un puits riche en sous-entendus et en double sens.»

Le metteur en scène rappelle qu'au XVIIe siècle, l'alexandrin était une langue qui faisait «pleurer les gens» dans la salle. «Par exemple, Bérénice [du même auteur], on disait que c'était un succès de larmes. Ce n'est pas une métaphore. L'acteur devait produire une émotion très forte sur le spectateur, émouvoir, convaincre, argumenter, percuter, pas seulement faire de la belle poésie. Voir ces tragédies, c'était être pris par des passions torrentielles, des intrigues rocambolesques, avec des personnages à fleur de peau.»

C'est dans cet esprit qu'il s'est attaqué à Britannicus. «Racine nous invite à voir comment une belle parole peut réunir une nation, détruire un peuple, décider du sens de l'histoire, ériger un homme en empereur. Dans le langage, c'est le monde qui se construit. C'est fascinant de faire l'expérience de la puissance de la langue.»

Distribution étoile

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Le metteur en scène Florent Siaud a travaillé pendant deux ans sur la pièce Britannicus de Racine.

Cette langue sera défendue sur scène par des acteurs de premier plan. Sylvie Drapeau interprétera Agrippine, mère de l'empereur Néron, joué par Francis Ducharme. Éric Robidoux incarnera Britannicus, demi-frère de Néron, et Evelyne Rompré, son amoureuse Junie. Marie-France Lambert, Maxim Gaudette et Marc Béland complètent la distribution.

«Ça prend du métier pour jouer Racine, admet Florent Siaud. Le dénominateur commun, c'est que ces acteurs sont tous rougeoyants à l'intérieur. Ils sont très physiques, certains ont fait de la danse; c'était important pour moi que les vers puissent s'incarner dans des corps très animés. Dans Racine, les mots, c'est du sang, de la chair, ce n'est pas du tout des idées abstraites.»

Ces vers nous font le récit de l'empereur Néron, de plus en plus irrité par les conseils de sa mère, Agrippine, qui gouverne à travers lui. En se libérant de l'emprise de sa mère, Néron se révélera dans toute sa cruauté. Il fera enlever Junie, l'amante de son demi-frère Britannicus, qu'il considère comme un rival, et mettra tout en place pour être seul aux commandes de son empire.

«Il y a une sensualité, une urgence politique presque insoutenable, avec plein de renversements. J'aime aussi la dimension psychanalytique de la pièce, on dirait qu'il a inventé la psychanalyse moderne», explique Florent Siaud.

«Le rapport mère-fils, le rapport du politique à l'affectif, la rivalité amoureuse des deux frères ennemis: il y a plein de leviers psychanalytiques là-dedans. C'est une partition très sensuelle, très émouvante», ajoute Florent Siaud.

Deux ans de préparation

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Sylvie Drapeau, le metteur en scène Florent Siaud et Evelyne Rompré discutent de la pièce.

«Quand Lorraine m'a proposé de monter Britannicus, j'ai tout de suite accepté, nous dit Florent Siaud, mais je lui ai dit que j'avais besoin de temps. Je travaille toujours comme ça, sur une période d'environ deux ans, avec la même équipe de concepteurs. Les textes de Racine sont d'une difficulté redoutable, ils ne se montent pas en huit semaines...»

Le metteur en scène, natif de Grenoble, en France, travaille «par couches» avec ses acteurs. Par périodes de trois ou quatre mois.

«Il a d'abord fallu décortiquer les alexandrins pour être sûr que tout le monde comprenne chaque mot, chaque référence, note-t-il. Il a aussi fallu que les acteurs prennent conscience de la dimension performative de la parole, trouver la sensualité du texte, érotiser Racine. Les alexandrins sont très pervers, parce qu'ils font exprès de cacher par des figures de style des allusions sexuelles très franches.»

Durant ce travail de préparation, il s'est rendu à Rome pour s'imprégner «de tous les paradoxes: Antiquité, Renaissance, modernité», afin de «trouver la clé pour émouvoir les gens aujourd'hui». Pour créer les décors (avec le scénographe Romain Fabre), il s'est inspiré du film Il Divo, du cinéaste italien Paolo Sorrentino - «une Italie politique qui évolue dans de grands palais anciens, mais qui est très contemporaine dans la mode».

Il a aussi replongé dans l'histoire antique, dans la vie de Néron, mais aussi dans des biographies de dictateurs: Bokassa, Ceaușescu, Staline, Kim Jong-un, Fidel Castro, Salazar...

«La tyrannie naît toujours d'une humanité, il y a toujours des enfants autour, des maris, des gens qui, à la base, veulent sauver le peuple, nous dit encore Florent Siaud. Ce qui est intéressant, c'est le point de rupture où l'humain bascule dans la terreur, l'avidité et le goût radioactif du pouvoir. C'est ça que nous raconte Racine et c'est aussi ça qui est très actuel. Il le dit dans sa préface: "J'ai voulu raconter les premiers instants d'un monstre naissant." C'est ce que je vais essayer de faire.»

Au TNM du 26 mars au 20 avril.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Marie-France Lambert et Sylvie Drapeau en pleine répétition