Le Théâtre de la Manufacture amorce l'année 2019 à La Licorne avec une nouvelle pièce de Jean Marc Dalpé, La Queens', dans une mise en scène de Fernand Rainville, deux hommes de théâtre originaires de l'Ontario. Alors que la fin de l'année 2018 a remis les Franco-Ontariens dans l'actualité, La Presse a profité du fait que le théâtre rattrape la politique pour parler d'identité et de résistance avec eux.

Après la décision du premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, d'annuler le financement du projet d'université de langue française et celui du Commissariat aux services en français, un tollé s'est fait entendre en Ontario et aussi... au Québec. Avez-vous été surpris par cette réaction?

Fernand Rainville: Oui, agréablement surpris par cet élan de solidarité. En 1997, lors du combat contre la fermeture de l'hôpital Montfort à Ottawa, la réaction avait été tout autre au Québec. On disait: «Vous voyez, on a raison de répéter qu'il n'y a point de salut pour le fait français au Canada», «Ça démontre l'importance de l'indépendance du Québec», etc. Les francophones hors Québec croyaient qu'ils seraient toujours vus de haut par la maison mère. Or, aujourd'hui, les Québécois sont devenus des alliés solidaires de la cause franco-ontarienne.

Jean Marc Dalpé: Il y a toujours eu une solidarité entre le Québec et les Franco-Ontariens. Mais avant, je sentais une certaine distance, une condescendance: «Vous allez disparaître de toute façon, d'ici 50 ans, comme les Cajuns à La Nouvelle-Orléans...» Or, je n'entends pas ça aujourd'hui. L'esprit et l'attitude envers les francophones hors Québec sont très différents. En moins de 48 heures, il y a eu une mobilisation énorme de partout!

En 1968, René Lévesque avait déclaré au réseau CBC que les francophones hors Québec étaient des «dead ducks» au Canada. Depuis, on ne cesse d'annoncer leur mort...

Jean-Marc Dalpé: Et chaque fois qu'un mauvais prophète annonce sa mort, le cadavre franco-ontarien se relève de son cercueil! «Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts», dit l'adage. Je ne conteste pas le déclin démographique ni le problème de l'assimilation du français. Or, en 2019, il y a beaucoup plus d'associations et de mouvements citoyens qu'il y a 30 ou 50 ans. On s'organise pour ne pas disparaître. Il faut se rappeler qu'on part de loin : la première école secondaire publique francophone à Sudbury remonte à 1969. Avant, les francophones devaient aller étudier en anglais.

Le titre de la pièce fait référence à un hôtel situé dans le nord de l'Ontario, laissé en héritage à deux soeurs, l'une exilée, l'autre restée au pays. Après la mort de leur mère, l'hôtel deviendra l'objet d'un affrontement entre les deux soeurs. Le véritable champ de bataille est-il celui de l'identité?

Jean-Marc Dalpé: Je préfère parler de territoire, de nord-américanité, une notion qui existe depuis le XVIIsiècle avec les expéditions menées par les Métis, les Cajuns, les Acadiens. Depuis, notre expérience et notre langue sont différentes de celles de l'autre côté de la grande mare. On parle du Québec comme d'un pays; mais ce n'est pas un pays, c'est un archipel. Le Québec demeure la grande île, mais il y a d'autres îles importantes: l'Acadie, le nord de l'Ontario, le Manitoba et d'autres îles plus éloignées...

L'auteur Alexandre Soublière estime, dans son essai La maison mère [Éditions du Boréal], que le terme «Canadien français» est plus rassembleur que celui de Québécois.

Jean-Marc Dalpé: Je suis d'accord avec lui, si on parle d'appartenance au territoire et aux traditions...

Fernand Rainville: Avant le pied de nez du gouvernement Ford à l'égard des Franco-Ontariens, je n'avais pas l'impression que la pièce parlait de l'actualité. Pour moi, ça évoquait le nord de l'Ontario imaginaire de Jean Marc, comme dans Le chien. Or là, la résonance avec la crise franco-ontarienne, la métaphore de la survivance, ça saute aux yeux.

Est-ce que la métaphore du combat de la résistance à l'assimilation est au coeur du duel entre les deux soeurs dans la pièce?

Fernand Rainville: L'une d'elles [Marie-Thérèse Fortin] est une grande pianiste de concert reconnue internationalement. Elle a quitté le nord de l'Ontario depuis longtemps et voyage à travers le monde. Elle veut rompre avec le passé et vendre l'hôtel. Tandis que sa soeur, Sophie [Dominique Quesnel], reste attachée à ses racines et à l'héritage de ses parents. Elle est prête à tout pour empêcher sa soeur de liquider le motel. C'est un dilemme qu'on a tous eu un jour comme Franco-Ontariens: partir ou rester? Disparaître ou résister?

La Queens', de Jean Marc Dalpé, mise en scène de Fernand Rainville. Avec Dominique Quesnel, Marie-Thérèse Fortin, Alice Pascual, David Boutin et Hamidou Savadogo. Du 15 janvier au 23 février à La Licorne.