D'Icare à L'idiot en passant par Vol au-dessus d'un nid de coucou, Renaud Lacelle-Bourdon nous a habitués, ces dernières années, à des élans de naïveté, de compassion et de tendresse. En interprétant le Don Juan russe Platonov, Docteur Renaud nous servira, à l'opposé, un être triste et tourmenté à la Mister Hyde.

Avec Platonov amour haine et angles morts, la metteure en scène Angela Konrad fait entrer quelques recrues dans ses équipées d'adaptations-de-classiques-audacieuses, dont Debbie Lynch-White, Violette Chauveau et Renaud Lacelle-Bourdon.

Le comédien tout juste sorti de Rabelais (Prouesses et épouvantables digestions du redoutable Pantagruel) et de Dostoïesvki (L'idiot) en est ravi.

Nerveux un peu, avoue-t-il avec sincérité, le cheveu toujours long et le mouvement aussi ample. Acteur physique, voire explosif, danseur aussi, il indique qu'il n'a pas eu à jouer la retenue pour devenir ce tourmenté de Platonov.

«Est-ce que ma superbe est castrée? dit-il en souriant. J'explore des zones plus sombres, c'est vrai, mais c'est bien correct. Au début, je voyais le personnage moins triste. Mais, comme on a épuré la trame, le corps va bouger, ça va y aller. La lumière que je vais dégager va être différente. Je vais être énergique, mais dans la souffrance. J'ai dû plonger, j'avoue.»

Contre-emploi

Contre-emploi? ose-t-on demander. Pas vraiment. Entre autres choses, le comédien a été de Vincent River avec Danielle Proulx il y a déjà 12 ans au Quat'sous. Une pièce mère-fils troublante.

«J'avoue que lorsque Angela m'a appelé, je lui ai demandé si elle était certaine de me vouloir. Elle avait vu Nina c'est autre chose l'année dernière à La Chapelle et était, oui, certaine de son coup. J'ai dit oui, évidemment, mais avec une certaine peur. Je lui fais totalement confiance.»

Platonov est un beau et grand personnage tragique comme les aiment les acteurs d'expérience. Renaud Lacelle-Bourdon, malgré son air parfois juvénile, pratique le métier depuis près de 20 ans.

«Dans le fond, note-t-il, Platonov est un mélange entre Hamlet et Don Juan. Il séduit les femmes, mais il a un mal de vivre incroyable. Il est au bord du gouffre, il est sombre. Lui-même se déteste. Il porte ça en lui. Il est sur la vérité de la vie, mais peut devenir soudainement très manipulateur.»

«Les autres cherchent quelque chose en Platonov. Son intelligence et la subtilité de son esprit sont séduisantes. Mais il déçoit parce qu'il ne fait pas de gestes et refuse de donner aux autres.»

Pièce de jeunesse

Platonov est une pièce de jeunesse d'Anton Tchekhov découverte après la mort de l'auteur russe en 1904, considérée comme trop longue bien souvent. Mais Angela Konrad, en grande lectrice qu'elle est, y a puisé de quoi condenser le drame et la «non-action» tchékhovienne.

«C'est comme la genèse du talent de Tchekhov, dit l'acteur. Tout est déjà là. Angela a passé au tamis la trame et l'essence des personnages principaux. Ils sont clairement typés. Elle a gardé l'écriture et un petit ajout d'Hamlet. J'avais joué la pièce avec Patricia Nolin au Conservatoire. Mais j'étais le mari cocu, pas Platonov.»

Ayant agrandi continuellement sa palette depuis des années et après ses premiers rôles récents, Renaud Lacelle-Bourdon exprime le timide désir de se voir offrir Hamlet, par exemple, mais, prudent, l'homme reste totalement sur ses gardes.

«Je ne peux pas choisir tant que ça, soutient-il. Je ne peux pas dire à une direction artistique que je veux tel rôle. Oui, je peux avoir un désir. Pour L'idiot, Catherine [Vidal] avait une invitation du TNM. Elle cherchait et ne trouvait pas. J'ai mis sur la table le texte de Dostoïevski que je venais de lire. Tout doucement, sans insister, presque.»

Docteur Renaud est toujours là. Mr. Hyde peut aller se rhabiller.

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Platonov amour haine et angles morts est présentée au Prospero, du 20 novembre au 15 décembre.