C'est ce qu'on appelle entrer par la petite porte. Situé au fond d'une cour dans le 1er arrondissement à Paris, le Théâtre des Déchargeurs compte moins de 100 places, pas exactement une grande salle.

C'est là, pourtant, que Lorraine Pintal et le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) ont choisi de poursuivre leur aventure en France, avec l'adaptation théâtrale de L'avalée des avalés, chef-d'oeuvre de Réjean Ducharme, dont la première a eu lieu mardi dernier, devant une poignée d'artistes et d'amateurs de théâtre moderne.

Cette entrée en scène, plutôt discrète, s'explique de deux façons. Primo, le TNM n'est pas ici en terrain conquis ni acquis. Et si elle a déjà, par le passé, présenté quelques pièces dans l'Hexagone (dont L'hiver de force de Ducharme, au Théâtre de l'Odéon), l'institution montréalaise y est encore relativement peu connue. Deuzio, il n'aurait pu en être autrement.

Lorsque Lorraine Pintal a manifesté son désir d'adapter le roman au théâtre, l'auteur lui a donné son accord, à condition que le spectacle se limite aux petites salles. 

«Pour lui, c'était très important de préserver l'intimité du roman», explique la metteure en scène, qui dit «porter» ce projet depuis «des années».

Dont acte. Après une lecture publique au Festival international de la littérature (FIL) à Montréal en 2016, L'avalée des avalés, version théâtre de poche (décor minimal, trois comédiens), a pris la route pour l'OFF festival d'Avignon l'été dernier, où il n'est pas passé inaperçu, récoltant des commentaires élogieux à la radio, dans la presse écrite et les sites spécialisés. «Immense écrivain» pour Le masque et la plume (incontournable émission de critique théâtrale depuis plus de 50 ans), «étonnant voyage» pour L'Humanité ou «formidables comédiens» pour Le Figaro, dont Sarah Laurendeau (Bérénice) qui dévore littéralement les planches, aux côtés de Benoît Landry (le frère) et de Louise Marleau (la mère). Sans oublier le magazine Télérama, qui l'a inscrit dans sa liste des spectacles à voir cet automne, un coup de pouce plus qu'appréciable, alors que la pièce est à l'affiche à Paris jusqu'au 8 décembre.

L'accent? «Un plus»

Ce n'est certes pas la première percée de Réjean Ducharme dans l'Hexagone. Rappelons que le plus énigmatique des auteurs québécois a publié ses premiers livres chez Gallimard, dès 1966, frôlant même le prix Goncourt. Ludovic Michel, producteur aux Déchargeurs, précise à ce sujet que la France a depuis longtemps «accaparé» Ducharme, au point que «pour beaucoup, il est un auteur français», même si, selon lui, les médias de l'Hexagone ont souligné sa mort un peu trop discrètement l'an dernier.

On se demande, néanmoins, si ce chef-d'oeuvre de Ducharme, adapté pour la toute première fois au théâtre, peut encore résonner en 2018 pour le public français. Lorraine Pintal, elle, n'en doute pas. Outre la force des thèmes abordés (fureur de vivre, rejet du monde des adultes, identification à la mère), L'avalée des avalés reste un monument de littérature, unique en son genre, et donc universel, intemporel.

Photo Yves Renaud, fournie par le TNM

Outre Sarah Laurendeau, Louise Marleau et Benoît Landry sont aussi en vedette dans l'adaptation du chef-d'oeuvre de Réjean Ducharme, mise en scène par Lorraine Pintal.

«Ce qui fascine toujours, je crois, c'est le jeu langagier. Les jeux de mots, les élucubrations. Ducharme s'amuse avec la langue et les Français adorent ce style.»

Les commentaires, recueillis après la pièce, allaient globalement en ce sens.

Tandis que Salomé, venue «pour découvrir», applaudissait «la modernité» du texte, Gisèle s'extasiait de cet «univers particulier, proche du réalisme magique» où l'accent québécois est «un plus»

Connaissant déjà l'oeuvre de Ducharme, Michèle avoue, de son côté, qu'elle y allait sur «la pointe des pieds», par crainte d'être déçue. Mais cette adaptation lui a semblé «fidèle à l'univers de Ducharme».

Avis que son ami Jérôme, l'air un peu perdu, ne partageait manifestement pas. «Il me manquait un décodeur», dit-il, en évoquant l'univers poétique ducharmien.

On verra bien, cette fois, jusqu'où Réjean «Ducharmera» la France. Un succès à Paris pourrait garantir à L'avalée des avalés une belle carrière dans l'Hexagone, comme une tournée en province l'an prochain.

Après quoi, Lorraine Pintal promet de présenter le spectacle au Québec, dans la nouvelle petite salle du TNM, qui, soit dit en passant, portera le nom de... Réjean Ducharme.

Photo Yves Renaud, fournie par le TNM

La fureur de vivre, le rejet du monde des adultes et l'identification à la mère font partie des thèmes abordés avec force dans L'avalée des avalés.