Au moment où l'on souligne l'anniversaire du mouvement #metoo, Marilyn Perreault nous parle d'agression sexuelle dans sa nouvelle pièce. Fiel tente de comprendre comment des jeunes peuvent en arriver à s'enfermer dans la prison du ressentiment.

La dramaturge et metteure en scène Marilyn Perreault n'a malheureusement rien inventé avec sa pièce Fiel. Le spectacle s'est construit à la suite d'une vaste recherche documentaire et d'une cinquantaine d'entrevues, il y a trois ans, sur les salles d'attente qui l'ont finalement menée jusqu'au thème délicat des agressions sexuelles.

« Une infirmière m'a dit qu'elle détestait travailler à Noël, au jour de l'An et la fin de semaine des bals de finissants. Elle disait : "C'est terrible de voir de beaux jeunes, à l'orée de leur vie et de leur métier, qui arrivent à l'urgence scrappés en un seul soir. Ils sont tous bien habillés, mais souvent, ils ont vomi sur eux-mêmes, éprouvent un choc vagal ou ont vécu un dérapage sexuel." »

Même si la pièce comprend des scènes comiques, Fiel raconte un bal de fin d'études qui a très mal tourné. Le texte remonte à l'enfance et va jusqu'à l'âge adulte pour décortiquer un système délétère qui émerge, une mécanique machiste inexorable menant à la violence sexuelle.

« Avec le mouvement #metoo, je me suis rendu compte que c'est systémique. On a parlé beaucoup des "mononcs". Cette chose-là était acceptée depuis longtemps. Le système permettait à ces personnes de travailler dans leur milieu comme si de rien n'était. On les acceptait. »

ENGRENAGES

Par peur ? Paresse ? Paternalisme ? Il y a toutes sortes de systèmes qui font de nous ce que nous sommes. Des engrenages sociaux qui nous mènent parfois au point de non-retour, souligne la dramaturge.

« Dans tous les contes, par exemple, la figure de la belle-mère est épouvantable. C'est ce qu'on raconte aux tout-petits. Ça reste dans notre tête. Dans la pièce, j'ai utilisé les figures du Petit Poucet et du loup qui nous sont racontées si souvent. Comme si c'était normal, universel, intemporel. »

« Dans les modèles qu'on nous sert, on a eu beaucoup plus de "sois belle et tais-toi" que de femmes fortes. Ça ne changera pas en un coup de barre, ça va prendre du temps. Il faut taper sur le même clou, mais ensemble. Les femmes ne volent la place de personne, ce n'est que leur place que la société leur refusait jusqu'ici. » 

- Marilyn Perreault

Le système, voire le mythe du bal de fin d'études, comprend une beuverie qui a lieu à l'écart et où tout peut arriver, où tout est permis.

« C'est callé d'avance, croit-elle. Les filles s'habillent en princesse, même si elles diront plus tard qu'elles se sentaient très mal dans leur robe. Le bal des finissants est un système auquel on adhère d'une manière ou d'une autre. En parlant à des jeunes, j'ai compris que, pour eux, c'était comme s'il n'y avait pas de lendemain. C'est la fin de quelque chose et tout ce qui s'y passe est excusable. »

Dans la pièce, un jeune joueur de football est témoin de la vie de couple de son père avec sa nouvelle et plus jeune compagne cubaine qu'il traite fort mal.

« C'est ce qu'il voit. C'est le modèle qu'il a sous les yeux. Il ne connaît pas l'empathie, donc il ne va pas plus loin que ça dans sa vision du couple. Il se braque contre une personne qui a appris le français ici et qui le parle mieux que lui. Ça le rend jaloux. Il est emprisonné dans son stéréotype de joueur de football. Il s'ouvre à un moment, mais se referme aussitôt. »

INDIFFÉRENCE

La chose ne relève pas de tout un chacun, individuellement, mais d'un problème social plus grave, d'une indifférence larvée, estime-t-elle.

« Souvenons-nous du cas de Rehtaeh Parsons, qui s'est suicidée après que son viol collectif a été filmé et diffusé sur le web. Cette jeune fille a été victime d'intimidation par-dessus le viol subi. Les autorités n'ont rien fait. On a eu besoin d'Anonymus pour que ça bouge. Le tissu social s'était complètement déchiré autour d'elle. »

Fiel utilise la vidéo et le texte pour décrire ces situations extrêmes. Évidemment pas dans une volonté de sensationnalisme, mais par souci narratif.

« Les choses sont suggérées. On utilise une caméra au plafond parce que, dans plusieurs études, les victimes de viol racontent qu'elles avaient l'impression que leur corps restait au sol, alors que l'esprit s'en détachait. »

L'artiste dit avoir étudié les cas des « tournantes » en Europe et même du génocide rwandais pour tenter de comprendre comment monte le fiel chez l'être humain.

« Il n'y a pas une seule raison qui fait que ça arrive. C'est un maelström de raisons. Le Rwanda, c'est différent, mais c'est un phénomène collectif qui se préparait depuis des années. Dans un viol collectif, si on prend les gens individuellement, ça ne se produirait pas. En groupe, tu disparais. Tu n'es qu'un loup parmi les loups. »

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Fiel est présentée au Théâtre Aux Écuries du 9 au 27 octobre.

Photo Eugene Holtz, fournie par la production

Même si la pièce comprend des scènes comiques, Fiel raconte un bal de fin d'études qui a très mal tourné.