François Létourneau sera à compter de mardi de la distribution de Trahison, d'Harold Pinter, au Rideau Vert, avec Julie Le Breton et Steve Laplante, dans une mise en scène de Frédéric Blanchette. Il a entamé l'écriture d'une nouvelle série télé, croisement entre Les invincibles et Série noire, et envisage même de réaliser son premier film...

Ça fait longtemps qu'on t'a vu au théâtre. Sur l'affiche de Trahison, on indique entre parenthèses que Julie Le Breton était dans Vol au-dessus d'un nid de coucou et que Steve Laplante...

Et moi, il n'y a rien à côté! [Rires] Parce que ce sont des productions du Rideau Vert. C'est vrai que j'ai l'air de n'avoir rien dans mon CV! Ça fait quand même six ans que j'ai fait du théâtre. J'ai écrit une pièce qui s'appelait La fin de la sexualité, qui a inauguré la nouvelle Licorne. Mais je n'ai pas fait de théâtre depuis. Quand j'écris, je me plonge dans l'écriture. Quand j'ai fini Série noire, j'avais envie de retourner au théâtre, mais je n'ai plus de «gang» de théâtre. Je ne m'ennuyais pas nécessairement d'écrire une pièce - je n'ai pas l'impression d'être moins un auteur parce que j'écris pour la télé plutôt que pour le théâtre -, mais je m'ennuyais de la scène.

C'est quand même différent d'écrire pour la télé et pour le théâtre...

Oui, mais ça me convient tout autant, une forme ou l'autre. Ce n'est pas comme si je m'ennuyais de la liberté du théâtre. J'ai la chance d'avoir la même liberté à la télévision, malgré les contraintes. Quand j'ai joué dans [le film] Paul à Québec avec Julie Le Breton, on s'est dit que ce serait le fun de faire du théâtre ensemble. On avait un premier projet, qu'on a soumis à Denise Filiatrault. Elle n'aimait pas la pièce, mais elle était intéressée à travailler avec nous. J'ai repensé à Betrayal [Trahison], que Frédéric Blanchette, mon coloc à l'époque du Conservatoire, rêvait de monter. On s'est dit qu'on avait maintenant l'âge des personnages. Ça s'est réglé très rapidement. Il y a quelque chose qui a vieilli dans la pièce - elle date des années 70 -, mais qui est différent de ce qui se fait au théâtre au Québec en ce moment.

Je faisais des recherches sur toi dans une banque d'archives médiatiques. Depuis deux ans, il n'y avait pas grand-chose. Tu es une sorte d'antistar. Je ne te vois pas sur les réseaux sociaux...

Je ne suis pas là.

Par volonté d'être à contre-courant de l'époque?

Pas vraiment, en fait. Je suis quelqu'un d'assez réservé et timide. Les réseaux sociaux ne m'ont jamais attiré. Peut-être que lorsque mon fils sera là-dessus, j'y serai pour l'espionner! Je n'ai pas du tout besoin de communiquer comme ça. Parce que j'écris, et que l'écriture est fondamentale pour moi, je la réserve à 100 % à mon travail. Je suis le genre de personne qui ne sait pas quoi écrire dans une carte de fête! Je n'ai pas non plus la personnalité de la star. Je vois des acteurs qui ont beaucoup de charisme. Je n'ai pas ça, alors je ne vais pas faire semblant de l'avoir!

Il y a beaucoup de vedettes dont le succès repose essentiellement sur leur capacité à vendre leur image. Elles profitent de l'appétit voyeur des gens pour la vie privée des personnalités publiques. Tu veux plutôt être l'artisan qui ne se dévoile que dans son art?

Je fais quand même de la promo! Je suis sur le tapis rouge quand je joue dans un film. Je me souviens que pendant Les invincibles, je refusais de faire des émissions de variétés. Ça ne me tentait pas. Mais je me suis assoupli. Je vais dans des quiz maintenant, et j'ai du fun à les faire. Dans les deux dernières années, j'ai écrit un scénario de film et j'ai commencé à écrire une nouvelle série télé. Dans le fond, je n'ai rien à ploguer! J'aime mieux concentrer mes énergies dans mes projets. C'est vrai qu'il y a certaines vedettes, quand tu regardes tout ce qu'elles font artistiquement, ce n'est pas génial; mais on dirait que leur aura médiatique transcende tout ça. Ces gens-là restent «dans le coup» même si ce n'est pas artistiquement formidable.

Dans cette ère d'autopromotion où l'on accorde souvent plus d'importance à l'image projetée qu'à la matière qu'il y a derrière, crains-tu parfois de glisser dans les «craques» du plancher? Parce que tu refuses de jouer le jeu?

Oui. J'ai peur de ça. Parce que je suis un acteur. Mais comme j'écris en plus d'être acteur, et que je développe mes projets, j'ai plus d'emprise sur ma carrière que quelqu'un qui est seulement interprète. J'ai joué dans des choses que je n'ai pas écrites, j'adore le faire et j'aimerais le faire plus - que les gens pensent à moi pour ça -, mais j'ai beaucoup de satisfaction quand je repense à ce que j'ai écrit: Les invincibles, Série noire ou ma pièce Cheech. Le fait de ne pas être sur les réseaux sociaux ou de ne pas faire d'autopublicité me fait peut-être passer à côté de certains rôles. Je suis sans doute de la vieille école, mais je trouve qu'il y a quelque chose de gênant à faire sa propre promotion. Je sais que les jeunes ne pensent pas comme ça. J'aime mieux que quelqu'un dise du bien de moi que je le fasse moi-même! Et je n'ai aucune envie de partager mon intimité. Pour moi, c'est l'horreur.

C'est une façon pour plusieurs artistes d'interagir avec le public...

Je n'ai pas envie de ça! Je me fais souvent parler de Série noire et des Invincibles. C'est ça, le contact que j'ai avec le public.

Y a-t-il un piège à t'écrire tes propres rôles et à être autant associé à tes propres projets? Tu disais que les gens ne pensent pas nécessairement à toi...

Je pense que ça m'a toujours un peu nui. Mais c'est aussi parce qu'en vieillissant, j'ai de la misère à faire deux affaires en même temps! Quand j'écris, je ne joue pas. Et quand je joue, je n'écris pas. J'aime bien replonger dans la camaraderie du théâtre. Dans mes périodes d'écriture, je suis beaucoup dans ma tête. La nouvelle série télé, je l'écris seul. Même si Jean-François [Rivard, coscénariste des Invincibles et de Série noire] est très présent et que c'est lui qui va la réaliser. Ce que j'aime de l'écriture, c'est que tu ne dépends pas du désir des autres. J'aurais été très malheureux dans ce métier-là si j'avais juste été acteur. J'aurais trouvé ça dur.

Peux-tu me parler de ton nouveau projet de série télé?

Ben, euh... J'ai écrit trois épisodes. On les a présentés à Radio-Canada et ça s'est super bien passé. Je vais en écrire trois autres cet été et à l'automne. Ça se passe l'été! Ce ne sera pas l'hiver... Je ne peux pas te dire grand-chose, mais c'est vraiment un mélange des Invincibles et de Série noire. Je reviens à une prémisse qui ressemble plus à celle des Invincibles. Je suis super fier de Série noire, mais la prémisse, c'était quand même deux scénaristes qui écrivent une série télé. C'était moins pop que Les invincibles. Je reviens au thème des relations amoureuses, mais avec des gens qui ont 45 ans. Il y a quelque chose qui s'apparente à Série noire dans la construction. Il se passe beaucoup d'affaires et c'est un peu disjoncté. Je suis très excité par le projet.

Série noire, dont je suis un très grand fan, n'a pas eu le succès populaire des Invincibles. Craignais-tu que ça nuise à ton prochain projet? Qu'on te demande quelque chose de plus accessible ou que toi-même, tu te permettes moins d'audace?

Oui, je le craignais. On a fini Les invincibles avec nos meilleures cotes d'écoute. Radio-Canada nous a demandé une quatrième saison et on a refusé. Radio-Canada ne nous a pas demandé une troisième saison de Série noire! [Rires] Et on ne le voulait pas nous non plus. On a profité du succès des Invincibles pour proposer quelque chose d'audacieux, et je suis heureux qu'on l'ait fait. Pour le nouveau projet, je me suis donné deux défis : que l'entrée en matière soit plus accessible et que les filles soient à l'avant-plan. Il y a quatre personnages, deux couples. Je m'en voulais que le personnage d'Edith Cochrane dans Série noire demande toujours: «Denis, qu'est-ce qui se passe?» Ça m'a traumatisé sur le plateau quand je m'en suis rendu compte.

Et ton projet de cinéma?

J'ai écrit trois scénarios depuis Série noire. Un premier que j'ai abandonné à la page 99 parce que je me suis rendu compte que c'était plus une idée de télésérie. C'était beaucoup trop déprimant et pas très bon! Ensuite, j'ai écrit un autre scénario, mais après une deuxième version et une discussion avec mes producteurs, j'ai recommencé autre chose...

Tes producteurs ont dû être ravis...

Ils ont trouvé ça bizarre! J'ai écrit un nouveau scénario qu'on va déposer bientôt aux institutions [SODEC et Téléfilm Canada]. Et c'est peut-être même quelque chose que j'aimerais réaliser... Je le dis pour la première fois et ça me stresse ! Je sais que je n'ai pas toutes les qualités de mes amis réalisateurs, mais ils m'ont beaucoup appris. Je ne réaliserais pas le texte de quelqu'un d'autre, mais c'est mon scénario, alors je vais peut-être me lancer. C'est un vieux fantasme.