Avec Comment je suis devenu musulman, Simon Boudreault a écrit une comédie tendre et juste assez grinçante sur la religion, les rituels et les différences culturelles, ainsi que sur la nécessité de se tendre la main pour mieux se comprendre. Il convoque ainsi les spectateurs à une grande fête où les cultures se mélangent, portée par une distribution multiethnique. Entrevue.

En lisant la pièce, on se dit que dans le fond, vous varlopez un peu tout le monde.

J'essaie de ne pas avoir de parti pris, d'être le plus juste possible avec les différents points de vue pour que le spectateur se surprenne à être d'accord avec le personnage qu'il pensait le plus loin de lui. C'est important d'être sans jugement, mais aucun de mes personnages n'est parfait. J'aime cette nuance : ils sont tous pris avec leurs valeurs, leur culture, leur passé. Donc, oui, il y a une varlope, mais elle est douce et aimante.

Il y a une certaine tendresse, peut-être?

Oui, quand même. J'ai l'impression que l'autre, et particulièrement le musulman, peut être vu rapidement comme un barbare, un être de violence. Mais toutes ces images sont aussi extrémistes que celles des curés pédophiles. On va leur coller cette image et elle devient celle de la majorité, alors que c'est de la minorité qu'il s'agit. J'avais envie du quotidien, avec les heurts, les conflits, les problèmes, les enjeux, les questionnements...

C'est délicat, parler de religion. La ligne est mince, non?

Oui, mais j'ai l'impression que je reste dessus. Je touche du bois... En même temps, ça m'intéresse de parler de religion et de spiritualité. Je me questionne beaucoup sur ce qui reste une fois qu'on a rejeté la religion et ses rituels. Qu'est-ce qui arrive? En quoi on croit?

En parlant des différences culturelles, vous n'avez pas peur de heurter des sensibilités?

Peut-être. Mais ça ne m'intéresse pas d'être dominé par la peur. Et puis c'est fait avec humilité et respect. Ce n'est pas trash ; je ne dénonce ni n'attaque personne. J'ai fait lire la pièce à des Marocains musulmans, et le plus beau commentaire qu'on m'a fait, c'est: «C'est sûr que dans ton entourage, tu as des Arabes, sinon, tu n'aurais pas écrit ça de même.» Ça a légitimé un peu que Simon Boudreault parle de ça. En même temps, c'est des personnages; je ne suis pas en train de dire que je dresse un portrait et que tout le monde est comme ça!

Vous vous êtes amusé à décortiquer les différences, les contradictions...

C'est important pour moi, la comédie. Ça permet d'aborder les thèmes graves avec légèreté, et je trouve que ça fait du bien. C'est ma position comme auteur. J'aime inviter les gens à une fête et ce spectacle en est une.

Alors que l'auteur de l'attentat de Québec vient de plaider coupable, ça fait du bien de lire cette pièce.

Je voulais montrer des personnages qui sont pleins d'ouverture à l'autre. Il y a des préjugés dans la pièce, mais pas de racisme ou de commentaires méprisants.

C'était important d'avoir une distribution multiethnique?

Je ne me voyais pas avoir des personnages arabes joués par des comédiens qui ne l'étaient pas. Ça aurait fait bizarre. Comme le blackface: pas parce que c'est une atteinte à la communauté, mais parce qu'il y a des acteurs pour le faire. C'est comme si, pour jouer un gros, tu engageais un maigre et que tu lui mettais une bourrure. Si tu ne fais pas jouer des personnages arabes par des Arabes, il faut que tu veuilles dire quelque chose. Les choix qu'on fait ont un sens, et il faut en être conscient, surtout aujourd'hui. Il y a des acteurs de toutes les nationalités à Montréal, on a les ressources et il faut les utiliser. Et puis, scéniquement, c'est fort. Ce n'est pas la même énergie qui est dégagée, c'est riche.

Comment espérez-vous que la pièce sera reçue?

Bien! Mais au-delà de la question «vont-ils aimer ou pas?», j'espère titiller une curiosité, dégonfler certains préjugés et donner aux gens le goût d'embarquer dans le party.

Dans le fond, vous nous dites que c'est plus agréable d'être ensemble que d'avoir peur de l'autre?

Exact. Mais sans tomber dans le moralisme. C'est pour ça que j'aime bien l'idée de la curiosité, de peut-être changer la façon dont on voit l'autre et de donner envie de réfléchir ensemble.

Vous avez l'impression d'avoir écrit une pièce politique?

L'anecdotique parle du global. Mais je crois au théâtre qui pose des questions, pas à celui qui donne des réponses. Je n'ai pas envie de me faire faire la morale au théâtre.

C'est pour ça que vous ne voulez pas avoir l'air moralisateur?

C'est que je ne veux pas dire: «Moi, j'ai compris comment ça marche et je vais vous l'expliquer.» Je ne suis pas un prophète ni un missionnaire. Mais si, en sortant de la pièce, les gens peuvent avoir envie de mieux connaître l'autre et avoir moins de préjugés, je vais être content.

On peut quand même dire que vous jetez des ponts?

Ça, je l'accepte. Cette pièce est une main tendue dans toutes les directions. Je dis: «Eille, gang, on peut-tu ne pas décider ce qu'est l'autre, et juste le regarder?» Et ça vaut pour les deux bords.

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À La Licorne du 3 au 21 avril.