Trois mois après la diffusion du reportage d'ICI Radio-Canada Télé, le Conservatoire d'art dramatique du Québec a congédié Gilbert Sicotte. Dans un communiqué envoyé mardi en fin d'après-midi, l'établissement explique qu'« à la lumière des conclusions d'une enquête indépendante et approfondie », le contrat de travail du professeur a été rompu.

« Nos pensées vont aux personnes qui ont manifesté avoir vécu des moments difficiles. Le Conservatoire de musique et d'art dramatique du Québec a le souci d'offrir un climat d'apprentissage et de travail sain. Nous avons de nombreux mécanismes internes en place pour que les élèves et les employés puissent faire entendre leur voix ; il est primordial pour nous d'être à leur écoute », a déclaré Marc Lalonde, directeur général du Conservatoire de musique et d'art dramatique du Québec.

Rappelons que Radio-Canada avait révélé, le 15 novembre dernier, des allégations d'abus de pouvoir et de harcèlement psychologique à l'encontre du comédien. M. Sicotte a été relevé de ses fonctions, le temps de faire le point sur le sujet.

En décembre, dans la révision de l'ombudsman des services français à Radio-Canada, Guy Gendron a conclu que le travail du journaliste et son reportage étaient rigoureux, mais qu'un plan de caméra avait pu donner une apparence de biais. Il a aussi souligné que la société d'État avait reçu un nombre record de plaintes à la suite du reportage de Louis-Philippe Ouimet.

« Le Conservatoire n'endosse aucune forme de harcèlement ou d'abus en tout temps et en tout lieu, écrit-on dans le communiqué de presse, en spécifiant que la direction ne fera pas d'autres commentaires. Cette situation impliquant des cas personnels, le Conservatoire n'a pas l'intention de la commenter davantage dans l'espace public. »

RÉACTIONS DU MILIEU

Le comédien et ex-président de l'Union des artistes Pierre Curzi trouve très dure et « pas très élégante » la décision du Conservatoire. Selon lui, la direction vient de remettre de l'huile sur le feu. « Elle aurait pu trouver une entente à l'amiable avec ce professeur qui a donné 30 ans de sa vie à l'institution », dit M. Curzi, un ami de Gilbert Sicotte depuis les années 70. « Je sais qu'il est profondément blessé et qu'il trouve ça très difficile. »

Sa conjointe nous a d'ailleurs confirmé que M. Sicotte « ne pouvait pas encore parler aux médias ». « Le mieux que je puisse faire, c'est de lui remettre vos coordonnées... »

Si M. Sicotte ne parle pas, plusieurs de ses camarades de théâtre prennent sa défense. Yves Desgagnés, qui a enseigné à l'École nationale de théâtre du Canada et au Conservatoire d'art dramatique, trouve déplorable la décision du Conservatoire. 

« C'est une grande perte pour la rigueur, qui est si défaillante dans notre société », a dit l'acteur et metteur en scène Yves Desgagnés.

Serge Denoncourt aimerait qu'on lui indique où est la ligne à ne pas franchir avant de tomber dans l'abus de pouvoir. « La création, ce n'est jamais confortable. Lorsqu'il dirige, la job du prof ou du metteur en scène, c'est de pousser un interprète à se surpasser. En répétitions de La mort d'un commis voyageur, j'ai tellement été tough et intransigeant avec Éric Bruneau qu'il me regardait avec des fusils dans les yeux. Et nous sommes encore amis », illustre le metteur en scène.

UN BOUC ÉMISSAIRE ?

Jointe en Floride, Fabienne Larouche est tombée des nues lorsque La Presse lui a appris la nouvelle du congédiement de l'acteur qui a joué dans ses séries Fortier et Trauma. « J'ai toujours eu des relations de travail cordiales et harmonieuses avec Gilbert, dit-elle. Je me questionne sur la responsabilité de la direction du Conservatoire dans cette triste histoire. Gilbert a enseigné là durant 30 ans et on réalise ça maintenant ! À croire qu'on cherchait un bouc émissaire. »

En novembre dernier, dans une lettre parue dans Le Devoir, tous les étudiants actuels du Conservatoire d'art dramatique de Montréal vantaient les méthodes d'enseignement de Sicotte : « Son cours est difficile puisqu'il consiste à faire face à ses émotions. Il est d'une franchise parfois brusque, certes, mais qui nous pousse à nous dépasser et à mieux nous connaître en tant qu'acteurs et actrices. »

Des finissants joints par La Presse abondent. Notamment Émilie Lajoie, diplômée de juin dernier. « Ça m'attriste énormément, parce que Gilbert Sicotte fut une de mes grandes rencontres au Conservatoire. Soyons honnêtes, à son âge et avec la carrière qu'il a eue, il pouvait se permettre de ne pas enseigner. » 

« Il était au Conservatoire quasiment tous les jours. J'ai connu un homme passionné par son métier et l'enseignement », a dit Émilie Lajoie, diplômée du Conservatoire.

Érick Tremblay, également finissant, va dans le même sens : « Pour m'être fait un peu ramasser par Gilbert, je trouve que son congédiement est complètement exagéré. Dans mes trois années, il n'a jamais été déplacé. »

« UN PROFESSEUR IMPORTANT »

Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques a eu Gillbert Sicotte comme professeur, il y a 10 ans. Bien qu'il ait souvent été critiqué et malmené dans ses cours, le comédien estime que c'est un grand professeur, qui a été important pour le Conservatoire et pour plusieurs jeunes acteurs québécois. « C'est dommage. Or, c'est aussi important que l'institution fasse une réflexion et réévalue ses méthodes d'enseignement. »

Marie-Josée Forget est intervenue dans le reportage de Radio-Canada, dans lequel elle parlait à titre de présidente de l'Association des étudiants en art dramatique de 1994 à 1995.

« Ce que nous demandions à cette époque, c'était un cadre pédagogique, pour dire ce qui se faisait ou pas. » 

« On dit que l'art, ça s'enseigne différemment, que l'art, ce n'est pas comme enseigner la philosophie ou le français. Non, mais dans la relation enseignant-élève, il y a un respect, il y a des limites à respecter, il y a un cadre à établir », a dit Marie-Josée Forget.

« Je ne récolte pas de satisfaction en ce moment de savoir que Gilbert Sicotte n'est plus enseignant, poursuit-elle. Ma satisfaction, je l'ai ressentie lorsque j'ai appris que la direction du Conservatoire décidait de faire une enquête et prenait enfin ses responsabilités. »

Pour elle, « l'enseignement doit être encadré ».

« SICOTTE MÉRITAIT UNE SORTIE PLUS HONORABLE »

À l'âge de 20 ans, Gilbert Sicotte abandonnait ses études à l'École nationale de théâtre, opposé à la conception trop classique de l'art dramatique de l'établissement, et se joignait à la troupe du Grand Cirque ordinaire, un collectif de création contestataire qui marqua l'époque. Ironie du sort, 50 ans plus tard, l'ex-étudiant rebelle est devenu le symbole de méthodes d'enseignement archaïques et d'abus de pouvoir. L'affaire va laisser une tache sur sa brillante carrière. Encore mardi soir sur Twitter, un journaliste de CityTV, Domenic Fazioli, écrivait erronément qu'un acteur québécois chevronné avait été congédié à la suite d'allégations... de « harcèlement sexuel » !

« Gilbert Sicotte méritait une sortie plus honorable, à l'image de sa carrière grandiose », résume Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques.