Dans Un si gentil garçon, Denis Lavalou aborde des sujets brûlants d'actualité. Culture du viol, prédateurs sexuels, agression non dénoncée... Sans tomber dans la morale ni la rectitude politique, l'auteur et metteur en scène espère que sa pièce fera réfléchir le public. Pour mieux changer cet obscur rapport au désir et à la séduction.

Depuis que l'affaire Harvey Weinstein a éclaté, nous sommes en pleine vague de dénonciations d'inconduites sexuelles. Aviez-vous pressenti ce mouvement social en décidant de monter et de coproduire Un si gentil garçon?

Non, pas du tout. C'est même troublant que l'actualité nous rattrape à ce point. Je suis tombé sur le roman [de Javier Gutiérrez] par hasard dans une librairie en 2013. Et j'ai tout de suite décidé d'en faire une pièce avec la compagnie suisse de Cédric Dorier. À l'époque, on ne parlait pas de harcèlement sexuel tous les jours, bien qu'il y avait eu l'affaire DSK, entre autres. À mon avis, la prise de conscience actuelle est salvatrice et nécessaire.

La pièce met en scène des étudiants et musiciens espagnols issus de bonnes familles, mais qui vont subitement déraper. Comme ils sont populaires sur le campus, ils attirent des filles dans des soirées pour les droguer, puis les agresser. L'histoire est racontée du point de vue d'un des prédateurs. Pourquoi avoir choisi cet angle narratif?

Je trouvais intéressant d'aborder la question du viol sous l'angle du violeur, du coupable, et non des victimes. Pourquoi a-t-il des relations sexuelles avec des filles bourrées et inconscientes? Il a 20 ans. Il est musicien et beau. Il devrait être capable d'avoir des relations sexuelles avec consentement. Bien sûr, je n'appuie pas les gestes commis par les prédateurs. Je pense simplement qu'ils sont malades. Malheureusement, pour certains humains, la dépendance au mal semble plus intéressante que la dépendance au bien.

Ça rappelle l'histoire de ce jeune champion de natation, à l'Université Stanford, qui a agressé une étudiante inconsciente, en janvier 2015, après une fête sur le campus.

En effet, je me souviens que le père du violeur a déclaré aux médias après le procès: «Six mois de prison, c'est cher payé pour 20 minutes d'égarement!» La victime a écrit une longue lettre durant le procès. C'est presque un essai sur la notion de consentement. Elle y explique que les filles ont le droit de boire et de s'éclater aussi. Et si elles ont les facultés affaiblies, ça ne veut pas dire oui à une relation sexuelle. Une femme inconsciente n'est pas une femme consentante.

Croyez-vous, avec tout ce qui se passe actuellement (#moiaussi/#metoo), que les rapports hommes-femmes vont s'améliorer?

J'espère que ça va changer les comportements et amener une vraie révolution dans la tête des hommes. La société ne peut pas ne rien faire. Il faut aborder cette psyché masculine, cette obsession de séduire à tout prix. Je dis masculine parce qu'apparemment, c'est plus masculin que féminin.

Est-ce une obsession du désir ou plutôt une soif de pouvoir?

Ce sont les deux, je crois. On associe désir et pouvoir. Et ce n'est pas une exclusivité hétérosexuelle, d'ailleurs... Il faut réinventer la séduction.

Dans vos recherches pour écrire cette pièce, vous avec collaboré avec des organismes de prévention du viol et d'intervention psychosociale [comme le GRIP]. Vous allez présenter le spectacle en Suisse l'hiver prochain. Est-ce qu'on parle autant de ce sujet là-bas?

En Suisse, ça existe, bien sûr. Mais c'est encore très tabou. Il y a une énorme différence entre la Suisse et le Québec. Il y a deux interprètes suisses dans la production. Ils sont à Montréal depuis deux mois pour répéter. Et ils sont fascinés, conquis par la société québécoise ! Par son ouverture, sa prise de parole, sa tolérance. C'est extrêmement précieux, il ne faut pas perdre cet esprit-là et tomber dans des jugements hâtifs, radicaux, qui réduisent le champ de conscience.

Faites-vous référence à tout ce qui se dit sur les réseaux sociaux et ailleurs depuis que les scandales sexuels éclatent dans le milieu artistique au Québec?

Méfions-nous de la rumeur et de la justice populaire. Il y a un danger de manipulation à l'inverse d'une victime qui est en réalité un bourreau, comme dans la pièce Oleanna de David Mamet. L'humain est paradoxal: il peut être sujet au meilleur comme au pire.

Peut-on dissocier l'oeuvre d'un artiste de ses mauvaises actions humaines?

C'est un grand débat. Néanmoins, je pense qu'il faut dissocier les deux. On ne décide pas de lire un roman après avoir lu la biographie de son auteur. C'est facile de faire le procès expéditif d'un artiste et de le déboulonner du panthéon artistique. Comme c'est arrivé avec Claude Jutra. Ne plus reconnaître la valeur artistique de ses films parce qu'on réalise qu'il avait des tendances pédophiles, je trouve ça excessif.

Dans l'histoire de l'art, il y a des centaines d'exemples d'artistes ayant créé à partir d'un mélange d'attirance et de répulsion envers le mal, la perversion - Francis Bacon, Bukowski, Fassbinder, Baudelaire, etc.

Dans Un si gentil garçon, on veut justement montrer que les choses sont souvent complexes; ce n'est ni noir ni blanc. Il ne faut pas tomber dans l'excès de rectitude politique. On catégorise et on juge tellement vite de nos jours. Il faut se méfier d'une radicalisation d'un côté comme de l'autre. Le diable, c'est l'excès.

______________________________________________________________________

À l'Usine C, du 7 au 18 novembre.