Lambert Wilson entame ce soir au Théâtre du Nouveau Monde une série de 11 représentations de son spectacle Wilson chante Montand. Même si elle semble relever de l'évidence, cette rencontre entre le chanteur comédien et le comédien chanteur est plutôt récente.

Ils ont la même tessiture de voix, la même silhouette élancée, la même élégance naturelle. Yves Montand, immense comédien, mais d'abord et avant tout une énorme vedette de music-hall en son temps, est pourtant entré dans la vie de Lambert Wilson plutôt tardivement. En vérité, c'est alors qu'il cherchait une idée de spectacle, dans lequel il pourrait atteindre une vraie théâtralité, que l'oeuvre de Montand s'est imposée à lui.

« Je n'ai jamais vu Montand sur scène, pas même son spectacle du début des années 80, et je n'ai jamais eu l'occasion de travailler avec lui non plus, expliquait hier Lambert Wilson au cours d'un entretien accordé à La Presse. En fait, je n'ai pas été élevé du tout dans la passion qu'ont eue pour Montand la plupart des Français, car je crois qu'il existait une forme de rivalité entre mon père [le comédien Georges Wilson] et lui. Ils étaient du même âge et ils provenaient tous deux de la pauvreté immigrée, l'un d'Irlande et l'autre d'Italie. La réussite extraordinaire de Montand a dû rendre mon père un peu jaloux. La place très importante qu'il a prise à titre d'acteur a dû l'énerver, et aussi le fait qu'un chanteur puisse être aussi reconnu en tant que comédien. »

Pas d'imitation

À la faveur d'un disque et d'un spectacle consacrés aux grandes chansons du cinéma français, Démons et merveilles, l'acteur a intégré quelques chansons d'Yves Montand à son répertoire, parmi lesquelles Les feuilles mortes et Trois petites notes de musique.

« C'est à ce moment que m'est apparu son goût des textes, son envie de promouvoir la poésie, son goût de raconter une histoire en interprétant une chanson. Une chanson comme Barbara est construite comme un véritable court métrage. »

Wilson chante Montand n'a rien du tour de chant traditionnel, prévient le comédien chanteur. Mis en scène par Christian Schiaretti, le spectacle traverse la vie d'Ivo Livi, modeste immigré qui deviendra un héros populaire dans son pays d'adoption. Le complice musical Bruno Fontaine a tiré les arrangements vers des accents plus jazz et dirige sur scène une formation de six musiciens.

« Ce spectacle aurait tout aussi bien pu s'intituler L'immigréLe rital ou Le chanteur, indique Lambert Wilson. Les chansons sont là pour raconter la vie de Montand dans tous ses aspects. C'est comme un collage. Jorge Semprún, qui était un grand ami d'Yves Montand, a signé de belles pages poétiques, impressionnistes. Tout a été remis à plat, et nous avons choisi les chansons qui nous parlaient le mieux, tant sur le plan des textes que de la musique.

« La théâtralité, poursuit-il, réside dans l'approche même de Montand - il réglait lui-même les éclairages - mais aussi, de mon côté, dans la prise de parole d'un acteur qui va chanter plutôt que l'inverse. Je n'ai pas du tout l'impression d'incarner Montand ni de l'imiter. Je reprends à mon compte son répertoire en me servant de mon corps comme lui s'est servi du sien. Cela dit, je n'ai pas du tout étudié sa gestuelle ni vu la moindre vidéo, ou à peine. »

« Il s'échappe des choses de moi qui rappellent l'être qu'était Montand. Et puis, la musique très savante de Bruno [Fontaine] me force à mouiller ma chemise et me permet de jouer plein de situations. Le cinéma me paraît facile à côté ! »

Une valeur de transmission

Lambert Wilson voit aussi dans ce spectacle une valeur de transmission, une façon de passer une partie du patrimoine aux plus jeunes générations. Il s'inquiète en outre du fait que, 26 ans après sa mort, Yves Montand reste une figure pratiquement inconnue des gens de moins de 40 ans.

« Je crois que cette déperdition phénoménale est due à la façon dont la culture est consommée maintenant, chacun dans sa chapelle générationnelle, dit-il. Ça m'inquiète. Vous pouvez être une star mondiale incontournable et ensuite tomber très vite dans l'oubli. Cette évaporation est phénoménale, mais pourquoi est-elle si rapide ? Ayant grandi dans les années 60, je me souviens de ces soirées en famille alors que nous regardions à la télé des films plus anciens et que mes parents m'apprenaient tout de ces acteurs de leur époque. Cette transmission n'existe plus aujourd'hui, on dirait. »

Il estime qu'une carrière à la Montand ne serait pratiquement plus possible de nos jours parce que, dit-il, on demande aux artistes de se spécialiser dans une discipline, histoire de simplifier les choses. 

Selon lui, le compagnonnage entre le cabaret, le music-hall et le cinéma est maintenant moins évident, du moins en France. Quand on lui demande de décrire ce qui faisait de Montand un si grand artiste, Lambert Wilson évoque la capacité qu'il avait de bien capter les choses.

« Montand était un grand artiste parce qu'il était doté d'un charisme animal - un peu comme Alain Delon -, très fort. Lui qui était complètement inculte au départ a pu développer sa réflexion en tendant l'oreille aux bonnes personnes. Quand il raconte des histoires, entre le parlé et le chanté, il touche, il éveille, il émeut. Quand, par exemple, il dit simplement "Barbara", au lieu de le chanter, il se passe quelque chose. C'est pareil avec Le temps des cerises, a cappella. C'est comme une vibration particulière, ajoutée à une émission vocale délicieuse. C'est, je crois, un don de Dieu. »

Au Théâtre du Nouveau Monde, du 24 octobre au 5 novembre

Photo Archives La Presse

Yves Montand, à Montréal, en octobre 1986