Le Quat'Sous ouvre sa saison avec un spectacle portant l'étiquette «diversité». Mais À te regarder, ils s'habitueront ne parle pas d'immigration ou des nouveaux arrivants. Il met en scène le Québec d'aujourd'hui toutes couleurs unies. Ses concepteurs, Mani Soleymanlou et Olivier Kemeid, nous invitent à nous - mot volontairement inclusif - voir d'un autre oeil. Discussion.

Le thème du spectacle est-il la diversité ou non?

Olivier Kemeid: Sans le banaliser, je voulais que ce soit un spectacle comme les autres. Je ne voulais pas que ce soit le «moment diversité» et qu'après, on se calme en ne faisant que du théâtre blanc. C'est un vrai show de théâtre. Ni Mani ni moi n'avons attendu cette saison pour faire des shows là-dessus, mais ne pas en parler, ce serait ne pas parler du monde qui nous entoure. La thématique de la diversité me nourrit comme artiste. La période des accommodements raisonnables a permis à la société de débattre, même si cela a fait sortir du pus. Pour certains, immigrer, c'est le voile, l'anglais, le fédéral. Il y a comme un mash up qui se fait. Mon devoir est de détricoter ça.

Mani Soleymanlou: Je suis fatigué de la manière dont on en parle. La diversité qui exclut le Blanc francophone, ça me gosse. La diversité inclut tout le monde.

Mais il y a clairement un problème de représentation de la diversité culturelle sur les scènes montréalaises, non?

Olivier Kemeid: Comme directeur artistique, je me suis senti une mission de réfléchir davantage à ce qu'on pourrait faire pour accélérer le rattrapage par rapport à la mosaïque culturelle montréalaise. Il y a encore des barrières d'accent et de perception. Le fait que les autochtones soient mis dans le même sac que les nouveaux arrivants est fâchant aussi.

Mani Soleymanlou: On est à un moment charnière. Tout le monde fait un effort, et les subventions en tiennent compte. On doit passer par là pour que ça devienne la norme. Même chose à la télévision. Cet été, j'ai joué Yannis, Hichem, Hakim et Ahmed. Ce sont des personnages dont on ne mentionne pas l'origine. C'est un progrès.

La direction artistique a fait appel à un artiste visuel, deux dramaturges, 11 acteurs et actrices et des metteurs en scène de divers milieux et origines: Bachir Bensaddek, Nini Bélanger, Mélanie Demers, Chloé Robichaud, Dave Jenniss et Jean-Simon Traversy. 

Ce n'est pas un peu casse-gueule comme sujet et manière de faire les choses?

Mani Soleymanlou: Non, c'est excitant. Il y a une liberté totale dans ce show-là. C'est une diversification de la forme théâtrale aussi. On a des gens allant de Duceppe à Ondinnok, en passant par le cinéma, la danse et les arts visuels. L'art de la scène appartient à tous.

Olivier Kemeid: Ce n'est pas casse-gueule au Quat'Sous. Si, ici, on ne peut pas essayer des affaires hors pistes, le théâtre n'aurait plus sa raison d'être. Mani et moi, on n'est pas à notre premier barbecue. Il y a beaucoup d'expérience autour de la table.

La diversité pour vous, c'est donc une façon de faire et une façon d'inclure différentes?

Olivier Kemeid: Si tu fais ta mise en scène comme il y a 20 ans mais que tu prends l'acteur péruvien à la place, ce ne sera pas différent. Même chose si on continue la société québécoise comme il y a 20 ans : oui, on va mal intégrer les immigrants. Il faut changer notre façon de faire du théâtre, comme on doit le faire en société.

Mani Soleymanlou: On s'est battus longtemps pour avoir la langue québécoise. Là, il faut se battre pour avoir le vrai Québec sur la scène. Pour que la salle se voie sur la scène et vice-versa. C'est vrai qu'À te regarder, ils s'habitueront, c'est aussi une rampe de lancement pour faire connaître des acteurs issus de milieux divers.

Olivier Kemeid: À force d'être uniquement dans des acteurs blancs formatés par les quelques écoles qu'on a, on a appauvri quelque peu le jeu. Il faut bouger dans la vie, il faut déplacer son regard. 

Quel est le fil rouge qui unit les démarches des six metteurs en scène?

Olivier Kemeid: Dans Pour la suite du monde, Pierre Perrault et Michel Brault veulent filmer le réel. Mais ils l'arrangent en repartant la chasse aux marsouins. C'est un réel distorsionné, et ils sont dépassés par leur propre sujet. Il y a de ça chez nous. On a voulu enchâsser le réel, mais tranquillement le sujet se met à se révolter et nous amène ailleurs. C'est une métaphore pour les gens de la diversité. On voudrait tant les intégrer dans la fiction qu'est le Québec, alors qu'eux t'amènent à recomposer ton roman national et à déplacer ton regard. Le spectacle va poser des questions sur le «qui nous sommes» et peut-être même sur le «qui avons-nous réellement été».

Mani Soleymanlou: Le déplacement de regard est inscrit dans le titre de la pièce. Mon souhait, c'est que, grâce à ces artistes, notre regard sur nous-mêmes, Montréal et le monde soit changé. L'amener un peu ailleurs. Il faut le faire tous ensemble. Artistes, médias et citoyens pour aller dans le bon sens. Dans 10 ans, on va être dans un Québec multicolore et multi-accent. On n'aura pas le choix de le vivre.

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Au Théâtre de Quat'Sous jusqu'au 30 septembre.