Les voix féminines vont résonner haut et fort, cet automne, sur les scènes montréalaises. Après un creux de vague, les auteures proposent de plus en plus de pièces aux directions artistiques et les diffuseurs démontrent de plus en plus d'intérêt pour elles. La Presse en a discuté avec trois dramaturges dont on produit les pièces à la rentrée: Catherine Chabot, Nathalie Doummar et Rachel Graton.

Diriez-vous qu'il y a une recrudescence de la dramaturgie féminine depuis quelques saisons?

Catherine Chabot (CC): Depuis un an ou deux ans, je pense qu'il y a eu une véritable prise de conscience dans le milieu ; tout le monde veut que les choses changent. Avec le lancement du mouvement des Femmes pour l'équité au théâtre (FET), en janvier dernier, tout se bouscule.

Rachel Gratton (RG): On se donne la possibilité de faire plusieurs choses: écrire, jouer, produire... Notre génération de femmes [dans la vingtaine et la trentaine] a confiance en ses moyens. On sait que c'est permis, légitime, de prendre la parole. Alors, on fonce. Au pire, on assumera un échec.

Êtes-vous à l'aise avec l'étiquette d'écriture « féminine » pour parler de votre travail? 

Rachel Gratton: Mon écriture est autant féminine que montréalaise, québécoise. J'écris à partir de qui je suis, d'où je viens.

Nathalie Doummar (ND): Je crois qu'il faut arrêter de mettre les hommes dans une case, et les femmes dans une autre. Demande-t-on à un homme si son écriture est «masculine»? C'est très bien de voir plus de textes de femmes montés au théâtre. Or, tant qu'on en fera un enjeu, ça prouve qu'il reste du chemin à faire.

Catherine Chabot: Parler des impacts d'une agression sexuelle - comme fait Rachel dans sa pièce La nuit du 4 au 5 -, ou encore de sexualité, de maternité, d'amitié ; je ne pense pas que c'est s'adresser spécifiquement aux femmes. Ça touche la société en général. 

Dans les années 70-80, on a qualifié l'écriture des femmes au théâtre d'intime et intimiste. Depuis quelques années, il y a un décloisonnement, voire une polyphonie de thématiques et de styles. Les pièces de Sarah Berthiaume et de Catherine Léger sont très différentes, par exemple.

Catherine Chabot: Ça va avec l'évolution de la société, le féminin se complexifie. Avec Table rase, on voulait parler des femmes de manière réaliste et crue. Montrer nos corps imparfaits, avec leurs plis, leurs poils, leurs rondeurs. Les personnages féminins sont «virils», un mot qu'on associe aux gars. Pourtant, les femmes peuvent aussi être fortes, courageuses, téméraires : encore des synonymes de virilité.

La femme est plus de choses que «la maman, la vierge ou la putain»?

Rachel Gratton: J'ai relu Les fées ont soif de Denise Boucher. Et j'ai constaté tout le chemin parcouru. À l'époque [en 1978], les femmes avaient plus de courage que nous. Un chauffeur de taxi avait refusé d'aller reconduire Louisette Dussault au TNM quand il a su qu'elle jouait dans la pièce!

Catherine Chabot: On est encore au début de quelque chose qui est en mouvement. Les femmes ont eu le droit de vote au Québec en 1940. C'était hier...

Nathalie Doummar: Il faut dire qu'on est vraiment privilégiées au Québec. Une femme peut toucher à tous les sujets dans ses pièces parce qu'elle est libre. Je n'aurais jamais présenté Coco en Égypte. Dans ma communauté culturelle, les femmes répètent la même chose que leurs mères, leurs grand-mères, avant elles. Une auteure qui parle ouvertement de sexualité dans une pièce, ça choque!

Dans Table rase et Coco, les personnages ont zéro filtre lorsqu'ils abordent la sexualité. Vous ne craignez pas de tomber dans la vulgarité?

Catherine Chabot: Pour certaines oreilles, ça peut sonner vulgaire. Pour moi, c'est nommer les choses telles qu'elles sont. Je n'utiliserai pas une litote pour parler d'un anus! (rires)

Nathalie Doummar: Il faut voir la situation. Les pièces mettent en scène des «chums» de filles au chalet, qui boivent beaucoup et parlent de choses intimes.

Rachel Gratton: Elles parlent vrai, cru, comme dans la vie. Quand j'ai lu Table rase, je me suis tout de suite reconnue.

C'est très libérateur, finalement, de vous défaire de l'image traditionnelle des femmes?

Rachel Gratton: Oui. Et je sens que mes amis de gars de mon âge sont aussi tannés d'avoir à correspondre à une image masculine figée. Ils veulent arrêter d'angoisser par rapport à leur performance... à tous les niveaux.

Est-ce que le mot «féministe» provoque encore un malaise chez les jeunes en 2017?

Catherine Chabot: Non, j'ai 28 ans et, pour les gens de mon âge autour de moi, le terme est positif.

Rachel Gratton: De mon côté, il y a encore une connotation négative avec le mot «féministe». Il y a des gens qui pensent que l'égalité des femmes se fait obligatoirement au détriment de la liberté des hommes.

Nathalie Doummar: Le mot porte à confusion. Il y a juste «femme» dans «féminisme», alors que c'est une lutte pour l'évolution des deux sexes. Il faudrait inventer un mot. Mais il existe déjà: «humaniste». 

Leur rentrée théâtrale

NATHALIE DOUMMAR

Auteure de Coco (mise en scène par Mathieu Quesnel), à La Licorne jusqu'au 19 septembre

RACHEL GRATON

Auteure de La nuit au 4 au 5 (mise en scène de Claude Poissant), au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui (salle Jean-Claude Germain), du 26 septembre au 14 octobre

CATHERINE CHABOT

Auteure de Table rase (en reprise, du 19 au 29 octobre) et Dans le champ amoureux (mise en scène de Frédéric Blanchette), à Espace libre du 7 au 25 novembre