Brigitte Poupart dirige sept actrices dans Glengarry Glen Ross, une pièce qu'a écrite David Mamet dans les années 80 au sujet de molosses de l'immobilier. Les temps changent, mais pas la couleur de l'argent.

Glengarry Glen Ross fait partie du répertoire théâtral contemporain. Présentée sous sa forme classique l'an dernier au Rideau Vert, la pièce mise en scène par Brigitte Poupart est cette fois jouée par des femmes, mais le sujet est le même: le capitalisme sauvage dans une jungle où la femme est une louve pour la femme, le féminin incluant le masculin pour une fois.

«Dans l'immobilier aujourd'hui, ce sont majoritairement des femmes qui y travaillent. Ce qu'on dénonce vraiment dans la pièce, c'est le capitalisme néolibéral dans lequel on est toujours et qui est en train de nous manger littéralement», dit la metteure en scène

Glengarry Glen Ross est une agence immobilière frauduleuse qui vend du rêve à d'innocents clients. Au début, les employées apprennent qu'elles ont cinq jours pour «livrer la marchandise», c'est-à-dire des clients, sinon elles vont perdre leur emploi.

Les rapports qu'entretiennent ces femmes au bord de la crise de nerfs sont le résultat d'un climat insidieux créé par le système économique. Et cette bête n'a pas de sexe.

«L'appât du gain est asexué, croit Brigitte Poupart. Que ce soit des hommes ou des femmes, il n'y a pas de différence. Je me vois comme féministe, mais il faut arrêter de mettre ça en avant-plan. On raconte une histoire qui est universelle.»

Une profondeur nouvelle

Brigitte Poupart ne croit pas plus que les femmes de Glengarry doivent «agir» comme des hommes pour s'en sortir.

«Je l'ai vue jouée par des hommes plusieurs fois, mais là, ce n'est pas une bataille de coqs. Une femme qui dit fuck you cache une blessure. Là, ça devient drôlement intéressant. Je trouve qu'il y a une profondeur que je n'avais pas encore vue dans la pièce.»

Toutes les générations y sont représentées. La crise financière n'a pas d'âge non plus. Elle frappe fort, et personne n'est épargné.

«C'est tout à fait en accord avec les temps dans lesquels on vit, soutient la metteure en scène. On est à deux cheveux d'une guerre avec la Corée. On est constamment "on the edge".» 

«On est dans un presto et, même si la pièce a été écrite en 1984, elle reste d'actualité.»

Brigitte Poupart a décidé de faire un clin d'oeil au film de James Foley en travaillant la conception sonore, signée Stephan Boucher, comme au cinéma, avec bruitage et son surround. L'éclairage est découpé aussi comme dans un film.

«Je fais le même travail avec les actrices dans Glengarry comme je l'ai fait dans Table rase. C'est extrêmement réaliste. On est en jeu-caméra plus qu'en jeu théâtral. C'est le non-jeu de Robert Gravel. On garde la tragédie propre au théâtre, mais on n'a pas l'impression que les actrices jouent.»

Actrices «extraordinaires»

Des actrices qui lui «donnent la chair de poule» à certains moments. Un véritable baume pour la créatrice qui travaille sur ce projet depuis quatre ans.

«C'est une première pour David Mamet que ce soit joué de façon professionnelle par des femmes. Il fallait d'abord qu'il dise oui. Par contre, on ne pouvait pas adapter Glengarry à aujourd'hui. Ce qu'on veut voir dans cette trappe à rats, c'est comment ces femmes-là vont s'en sortir.»

Travailleuse autonome de la scène, jamais invitée par un théâtre institutionnel, Brigitte Poupart ne l'a pas eu facile, mais refuse de jouer les victimes. Elle milite en faveur de l'équité pour les femmes au théâtre depuis longtemps.

«Dans ma génération, il n'y a pas beaucoup de femmes réalisatrices ou metteures en scène. On parle beaucoup d'égalité et de parité en ce moment, c'est ce qu'on veut, mais le fait d'être dans un système capitaliste néolibéral ne fait pas qu'on creuse notre tombe finalement? On n'est pas plus libres. Est-ce que l'égalité et la parité veulent dire d'être comme les hommes, prises au cou dans un monde de consommation à outrance?», demande-t-elle en conclusion.

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À l'Usine C, du 3 au 13 mai.

Une distribution entièrement féminine

Micheline Lanctôt

Rôle: Shelley Levene

«Dans le film, il est une victime, mais dans la pièce, ce sont toutes des pourries. Dans le film, Jack Lemmon avait insisté pour humaniser son personnage en lui donnant un côté pathétique. Mais avec Brigitte, on s'est dit qu'il ne devait pas y avoir de pathos. [...] Pour traiter de la spéculation immobilière, je trouve l'idée de Brigitte extraordinaire de le faire jouer par des femmes. C'est une tragédie, la pièce, sans aucune sentimentalité. Mamet est un auteur extrêmement critique de sa société.»

Louise Bombardier

Rôle: Ginette Arronow (la nerveuse, celle qui a le moins sa place dans la vente à pression et à l'agence)

«Je fais une loser. Elle n'est plus capable de jouer ce jeu de rapaces basé sur le pouvoir et la séduction. Brigitte nous fait jouer ce qu'il y a sous les mots. On se dit que Ginette doit absolument travailler parce qu'elle a peut-être un fils à la maison.

Il y a des prédatrices et les proies. Moi, je joue la proie après avoir beaucoup joué les femmes fortes dans ma vie. C'est épuisant à faire. Avec les micros, c'est comme des confidences qu'on fait, comme du cinéma au théâtre. Cette pièce est un chef d'oeuvre.»

Isabelle Miquelon

Rôle: Danièle Moss (une manipulatrice qui en mène large)

«C'est un classique contemporain qui demande énormément de rythme. On joue avec des micros, ce qui permet beaucoup de nuances au jeu. On se rend compte dans le travail que ce n'est pas différent des hommes.

C'est chacun pour soi. Dans le marché du travail, les femmes vivent maintenant la même pression que les hommes dans les années 80. Le thème est plus actuel que jamais. Tous les jours, on voit des preuves qu'on s'en va vers un mur. Mon personnage déverse une logorrhée de mots et moi, je parle naturellement vite. J'adore ça.»

Photo Alain Roberge, La Presse

Micheline Lanctôt

Guillermina Kerwin

Rôle: Roma (la meilleure agente immobilière du groupe et qui est promise à un bel avenir au sein de l'agence)

«Le fantôme de Pacino m'accompagne, mais c'est un ami. J'y vais plus large pour mon personnage. Je vais chercher dans toutes les sphères où les femmes doivent être performantes: banques, immobilier, firmes d'ingénieurs...

Il y a une pression énorme pour ces femmes-là. Il faut être une bête et ne jamais se plaindre. Dans la nouvelle fiction, les femmes sont de plus en plus dures. Ce sont des choses qu'on ne voyait pas avant. Je suis très contente de jouer avec une équipe d'actrices extraordinaires. J'aime ça jouer au baseball avec les filles.»

Marilyn Castonguay

Rôle: Jeanne Williamson (la gérante de l'agence)

«Quand Kevin Spacey a tourné aux studio Cinépool il y a deux ans à LaSalle, quelqu'un m'a eu son autographe et maintenant je joue son rôle. Après Le déclin, c'est mon année "adaptation cinématographique au théâtre". Dans la pièce, lorsqu'une femme dit "ferme ta gueule", ça comporte plus de couches que lorsqu'un homme le dit.

On voit tout ce qui est en dessous. C'est plus dur encore comme propos. Mon personnage a le contrôle, mais elle ne connaît rien de la vente sur le terrain, ce qui frustre les femmes autour d'elle.»

Photo Alain Roberge, La Presse

Guillermina Kerwin

Léa Simard

Rôle: Jenny Link  (la cliente victime)

«Dans le film, c'est un faire-valoir pour montrer le concret d'une transaction et les tactiques de vente de Roma. Brigitte en rajoute une couche dans la pièce. Jenny est une femme qui a de l'argent, mais elle est malheureuse. C'est un personnage à part. Peut-être que le spectateur s'identifie plus à mon personnage, victime des requins qui s'attaquent à ce petit poisson-là.

On dit les mots de Mamet, mais puisque ce sont des femmes, on s'est trouvé des failles et un historique. Il y a une profondeur qui vient naturellement puisque les interprètes sont des femmes.» 

Geneviève Laroche

Rôle: l'inspectrice Bayley, qui arrive au deuxième acte pour éclairer le mystère du vol des listes des clients «premium» de l'agence

«Je représente le stress dans la pièce qui fait avancer les choses dans la deuxième partie. Elle cherche à découvrir qui a commis le vol. Dans le film, le personnage n'a qu'une phrase. Dans la pièce, c'est plus que ça.

Ça va être un bon show. C'est une méchante belle brochette d'actrices que les gens vont prendre plaisir à découvrir sous un nouveau jour. C'est exigeant, ce qui est demandé dans la prestation. Mon personnage, c'est comme une épée de Damoclès au-dessus des vendeuses. Dans notre univers, c'est tellement pertinent, cette pièce-là.»

Photo Alain Roberge, La Presse

Léa Simard