Après la grande dame, c'est au tour du patriarche du théâtre québécois de tirer sa révérence. Deux semaines après Janine Sutto, le comédien d'exception Paul Hébert, à la voix grave et pénétrante, est décédé hier soir à Québec. Il avait 92 ans.

Homme de théâtre complet, Paul Hébert a aussi été un bâtisseur. Au cours de sa carrière, il a lancé plusieurs compagnies: le premier théâtre d'été du Québec, Le Chanteclerc, à Sainte-Adèle (1956); le Théâtre L'Estérel, à Sainte-Marguerite; L'Atelier (de théâtre), à Montréal (1964); et le Théâtre Paul-Hébert, à l'île d'Orléans (1982).

Il a aussi dirigé le Conservatoire d'art dramatique de Montréal (1969) et celui de Québec (1970), avant de participer, l'année suivante, à la fondation du Trident et de devenir le premier directeur artistique de la compagnie de la capitale.

À la télévision, l'acteur a joué dans de nombreux téléthéâtres et téléromans, dont Sous le signe du lion, Rue de l'Anse, Les belles histoires des pays d'en haut, Race de monde, Le temps d'une paix, Cormoran et Nos étés. Au cinéma, il est l'inoubliable Théo, aux côtés de Guy L'Écuyer, dans La vie heureuse de Léopold Z, de Gilles Carle. Il a joué aussi dans L'affaire Coffin et Les beaux souvenirs, entre autres.

«Nous venons de perdre notre patriarche. Sa voix va résonner encore longtemps au théâtre et dans nos coeurs», a déclaré Anne-Marie Olivier, directrice artistique du Trident, par voie de communiqué.

Un parcours riche

Né à Thetford Mines le 28 mai 1924, Paul Hébert a été un comédien, metteur en scène, directeur de théâtre et pédagogue marquant de l'histoire théâtrale du Québec. Après avoir fait son cours classique au Collège de Lévis, c'est sous les conseils de son ami comédien Pierre Boucher que ce géant de la scène et des écrans québécois part étudier à Londres, à l'Old Vic Theatre School, en 1949. À son retour, en 1952, il fait ses débuts sur scène avec les Comédiens de Québec, une troupe fondée par Boucher. Commence alors une florissante carrière.

Paul Hébert joue dans de nombreuses pièces de théâtre et assure plusieurs mises en scène. Parmi les plus importantes, mentionnons les suivantes: Charbonneau et le chef de John Thomas McDonough, dont il signe l'adaptation avec Pierre Morency, Pygmalion de George Bernard Shaw, La mort d'un commis voyageur d'Arthur Miller, La chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams, La mégère apprivoisée de Shakespeare, Six personnages en quête d'auteur de Pirandello. En 2002, l'acteur offrira sa dernière performance sur la scène du Trident. «Il s'est attiré les éloges pour son incarnation vibrante du docteur Tcheboutykine dans Les trois soeurs de Tchekhov, dans une mise en scène de Wajdi Mouawad», se souvient la directrice artistique du Trident.

De l'émotion avant toute chose

S'il y a une leçon que Paul Hébert a surtout retenue durant sa période de formation, c'est qu'il faut garder à tout prix le naturel. Que le comédien ne doit d'aucune façon transcender le personnage. Tout se trouve dans les répliques. Et surtout l'émotion. C'est pourquoi il redoutait plus que tout la dernière tendance à la mode au théâtre de devoir recourir à des effets techniques. À ses yeux, c'était superfétatoire, car l'essentiel était affaire de texte. 

En plus, le théâtre avait à ses yeux un rôle social à jouer. Il donnait comme exemple la pièce Qui a peur de Virginia Woolf?, qu'il avait défendue en 1966 en compagnie de Monique Lepage (lui jouait George, elle Martha) au Théâtre de la Poudrière.

Il souhaitait qu'au-delà des disputes du couple, la pièce suscite une réflexion chez les spectateurs sur la vie conjugale.

Dans un long entretien accordé à Solange Lévesque, pour la revue Jeu, en 1998, le comédien définissait ainsi ce qu'est un acteur: «C'est le personnage. Pour moi l'acteur n'a d'importance qu'en fonction du personnage. C'est sa raison d'être. Sa mémoire sensorielle, sa mémoire des événements qui l'ont marqué, sa capacité d'émotion et d'intelligence sont au service du personnage. Le spectateur doit ressentir ce que ressent le personnage et non pas ce que ressent l'acteur qui cherche à exprimer le personnage.»

«Le spectateur doit croire au personnage au point d'oublier le nom de l'acteur ou de l'actrice.»

Dans le même entretien, Paul Hébert disait aussi que «le théâtre est d'abord un geste social, un art démocratique véritablement au service de la société».

Paul Hébert a reçu plusieurs prix et distinctions au cours de sa longue carrière. Il a notamment été fait officier de l'Ordre du Canada et chevalier de l'Ordre national du Québec, en plus de recevoir le prix Victor-Morin de la Société Saint-Jean-Baptiste. La Fondation du Théâtre du Trident a créé un prix annuel qui porte son nom. Il est remis pour souligner la performance exceptionnelle d'un comédien ou d'une comédienne de Québec.