Après 1984, la metteure en scène Édith Patenaude plonge dans un autre univers étrange et singulier avec la pièce Far Away. Un suspense philosophique qui interroge la logique binaire du monde contemporain.

« Je suis du côté de ceux qui veulent le bien », dit le personnage de Joan dans Far Away. Par conséquent, ceux qui ne font pas partie de son clan sont résolument de l'autre côté, celui des méchants, des étrangers, des dangereux...

Pour Édith Patenaude, la pièce de la prolifique auteure britannique Caryl Churchill met en lumière notre aliénation moderne et notre illusion de liberté.

« Il n'y a aucune logique dans nos conceptions du bien et du mal en Occident, dit la metteure en scène. D'un côté, on démonise ce qu'on ne connaît pas, ceux qui ne partagent pas nos valeurs, nos pensées. De l'autre côté, on magnifie les gens qui partagent nos opinions, nos croyances. Parce que ça nous rassure sur notre prétendue liberté. »

Far Away est la 39pièce de Caryl Churchill, reconnue comme l'une des figures phares du théâtre européen. On dit que son oeuvre, portée par un style d'une grande richesse, a réinventé la structure dramatique au théâtre, tout en abordant des thèmes humanistes et des enjeux d'actualité.

Suspense philosophique

Far Away est une fable d'anticipation à saveur de suspense philosophique. À travers les réflexions de Joan sur son monde à la fois fantasmagorique et près de nous, le spectateur accède à une ère de post-vérité. Trump et ses sbires n'ont rien inventé...

La metteure en scène croit qu'au lieu de se renfermer dans ses certitudes, il faudrait se libérer des catégories, éliminer les étiquettes.

« On se croit très ouvert d'esprit, mais jusqu'à quel point ne sommes-nous pas le produit d'un environnement, d'un groupe, d'une région ? Tout ce qui est en dehors de notre groupe, on le met dans une catégorie à part. »

Mystère anglais

Far Away est une pièce atypique, hors de toute catégorie, estime le metteur en scène Peter Brook, qui a dirigé sa création française aux Bouffes du Nord à Paris, au début des années 2000. « Les auteurs anglais, toujours friands de mystères, nous permettent d'entendre ce qui hurle dans les profondeurs », écrit-il en introduction de la version française de la pièce.

Édith Patenaude apprécie l'écriture très concise, précise et efficace de Far Away (et la traduction de Marie-Hélène Estienne) : « C'est un texte extrêmement riche. Tu peux le fouiller sans cesse et toujours trouver une nouvelle couche de sens. Avec une économie de mots [le texte fait une vingtaine de pages], Churchill distille le monde actuel. Son regard est d'une grande justesse. »

Ce qui plaît énormément à l'artiste et comédienne de 35 ans qui a dirigé la pièce 1984 l'an dernier.

« J'aime travailler avec des collaborateurs qui ont envie de repousser leurs limites et d'explorer toutes les facettes d'une oeuvre, explique Patenaude. Pour ce show, j'ai travaillé avec des concepteurs et des interprètes extraordinaires. Ce texte demandait de créer un écrin, une bulle... Et c'est ce que proposent la conception sonore de Jean-François Mallet, l'éclairage et le décor de Jean Hazel. »

Coproduite par le Théâtre Blanc et le Théâtre l'Escaouette, Far Away a été présentée à Québec en février dernier et à Moncton, fin mars. Édith Patenaude y dirige les comédiens Ludger Beaulieu, Lise Castonguay et Noémie O'Farrell.

Sur la scène principale du Théâtre Prospero, du 4 au 15 avril

Photo Idra Labrie, fournie par le Théâtre Prospero

Lise Castonguay et Noémie O'Farrell dans Far Away